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Alternatives Economiques
France : État d’urgence ou urgence d’État ?
Jean-Marie Harribey
Article mis en ligne le 5 décembre 2018
dernière modification le 4 décembre 2018

En trois semaines le mouvement des Gilets jaunes a pris une double envergure. Il s’est élargi dans toute la France, jusque dans les moindres petites villes, au point de rassembler de très larges fractions des classes populaires. Et, malgré l’expression de revendications contradictoires, la palette de celles-ci recouvre un grand nombre de points de rupture avec les politiques de tous les gouvernements, ceux du passé et l’actuel. En effet, nous payons les pots cassés de 40 ans de capitalisme néolibéral et de politiques d’austérité pour les pauvres et de largesses immenses pour les riches.

Parti de l’augmentation du prix des carburants, le mouvement des Gilets jaunes s’empare du salaire minimum, de l’éventail des salaires, du droit à la retraite et de l’iniquité fiscale, à l’intérieur de laquelle figure la question de la fiscalité écologique qui ne peut être séparée de son impact social. Par dessus tout émerge une exigence de renouvellement démocratique.

Devant l’ampleur de la mobilisation, et le chaos que son autisme engendre, le gouvernement Macron-Philippe n’a pas d’autres réponses que la répression et la perspective d’instaurer l’état d’urgence. Et pourquoi pas le couvre-feu, tant qu’à faire, puisque le feu qui couvait a éclaté en incendie !

Le premier moment d’étonnement et de réserve passé par rapport au discours anti-impôt des Gilets jaunes, il faut reconnaître une accélération de l’histoire : c’est moins le refus de l’impôt qui est exprimé que le refus de sa profonde inégale répartition. Il s’ensuit que le « nouveau monde » de Macron s’effondre. Son « imposture » [1] est mise à nu : théorisant la fin de la politique, le roi a nié la société, celle-ci réclame sa tête. Il avait disserté sur la Révolution, il pourrait l’avoir… (...)

On ne sait pas encore sur quoi aboutira le mouvement des Gilets jaunes, mais il dépasse déjà les Gilets jaunes eux-mêmes puisqu’il pose le problème du pouvoir dans notre société. Les gouvernements successifs sont sortis vainqueurs des longs bras de fer sociaux de ces dernières années : retraites, lois travail, cheminots, éducation… Aujourd’hui, s’il y a une minuscule chance de faire plier ce gouvernement, le plus inféodé à la finance capitaliste qu’on ait jamais eu en France, c’est en pesant sur son point le plus faible. Sa faille majeure est sa politique fiscale, outrageusement de classe depuis le premier jour (...)

Cette faille, les Gilets jaunes sont en train de la mettre en pleine lumière, et cela de manière inédite, ce qui leur vaut le soutien de la quasi-totalité de la classe qui travaille et qui s’appauvrit parce qu’…elle travaille !

Les forces associatives qui, au cours des dernières décennies, ont joué un rôle important dans la lutte contre le néolibéralisme (contre la finance et ses paradis, contre l’Europe des marchés, contre la destruction du droit du travail et le délabrement des services publics, contre le productivisme dévastateur), peuvent aujourd’hui participer à la construction d’une stratégie et d’une pédagogie pour l’entreprendre, avec une cible et une démarche.

La cible : mise à plat de toute la fiscalité, maillon faible de Macron. En commençant par le rétablissement de l’ISF, puis la reconstruction de la progressivité de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la progression des cotisations sociales pour répondre aux besoins sociaux, l’examen méticuleux de toutes les niches fiscales et la suppression de celles qui ne favorisent que les catégories aisées.

La démarche est de partir de l’angle fiscal, et l’écheveau se dévidera : une taxation à but écologique accompagnée de la transformations des structures productives, des investissements pour préserver les services publics et les biens communs, une réduction forte des inégalités, un travail décent pour chacun et un temps réduit pour tous, un système bancaire au service de la société, un contrôle démocratique de la tenue des engagements pris.

Le gouvernement, empêtré dans ses contradictions, est aux abois et ne sait penser qu’en termes d’état d’urgence. Or, il y a urgence d’État. Mais d’un État à qui la société imposerait la primauté de l’intérêt général sur celui de quelques-uns. (...)

Dans ce contexte, un mot particulier pour les économistes se réclamant de l’hétérodoxie et qui s’échinent à ramer au sein d’associations, de longue ou fraiche date, à contre-courant de la croyance aux vertus du profit, de la propriété et du tout-marché. Je pense notamment à ceux d’Attac, de la Fondation Copernic, des Économistes atterrés, à ceux animant les revues amies Alternatives économiques, Politis, Contretemps, Les Possibles... et bien sûr ceux qui, au sein de l’Université, n’ont pas abdiqué devant l’arrogance néoclassique dont l’arrogance de Macron est, en miroir, l’expression politique. (...)

À Katowice, la vingt-quatrième COP sur le climat pour rien ou presque risque de piétiner justement parce qu’il est postulé que l’action par les outils économiques est suffisante pour agir. La conception de la taxe carbone qui a été imposée est en échec : les individus n’« arbitrent » pas librement entre des choix en fonction du prix, parce que ces prétendus choix sont contraints par l’environnement socio-institutionnel. L’économie est politique ou elle n’est pas.

La mise en cohérence des préoccupations de la « fin du mois » et de la « fin du monde » est de la responsabilité de régulation des États, dont on attend autre chose que des déclarations de COP en COP. Urgence d’État.