
Toute la Grèce est en train de sombrer sous les coups de boutoir de la Troïka. Toute ? Non ! La Crète, la plus grande des îles, résiste aux puissances de la finance et a voté non à plus de 70 % lors du dernier référendum. Leur autonomie alimentaire permet aux Crétois de s’indigner sans en craindre les conséquences. Quoi qu’il arrive, ils auront toujours de quoi manger.
C’est comme si la crise grecque qui fait les gros titres des médias français avait épargné les Crétois. « La Crète est l’île la plus riche de Grèce, ici, il y a beaucoup moins de chômage qu’en métropole. On n’a pas trop à se plaindre. On a le tourisme l’été et l’agriculture l’hiver. C’est dur c’est vrai mais ça l’est encore plus dans le reste du pays », m’explique un chauffeur de taxi.
La Crète tire une bonne partie de ses ressources du tourisme, pourtant, l’idée d’une nouvelle hausse de la TVA (qui est passée de 13 à 23 % ce lundi, notamment pour la restauration) ne semble pas inquiéter outre mesure Vassilis, restaurateur à Heraklion, plus grande ville de l’île. « Ça fera augmenter les prix de quelques centimes, ça ne me fait pas plaisir mais bon, ce n’est pas la fin du monde », m’explique le commerçant qui n’a accepté de me répondre qu’à condition que je lui commande une bière.
Un peu plus bas sur le port, un pêcheur au visage buriné tente de dissimuler son amertume derrière d’énormes lunettes de soleil. Près de son étal quasiment vide, il s’ennuie ferme et fume cigarette sur cigarette. Il accueille ma question sur la nouvelle vague d’austérité avec un haussement d’épaules. « Mon problème c’est le vent force 8 Beaufort, qui m’empêche de travailler », m’explique-t-il. Comme lui, depuis deux jours, les petits pêcheurs sont bloqués au port et privés de revenus. (...)
La plupart de mes interlocuteurs refusent d’évoquer la difficulté de la situation, comme si en parler revenait à la rendre réelle. Mais même si les Crétois s’en sortent mieux que le reste de leurs compatriotes, ils ne sont pas à envier pour autant. Un couple de restaurateurs de Rethymnos, cité balnéaire au nord de l’île, qui souhaite rester anonyme, me déclare non sans gêne qu’ils vont être obligés de frauder la TVA pour s’en sortir.
Yorgos, qui tient lui aussi un « restaurant familial » non loin de là, ne décolère pas depuis qu’il a appris cette nouvelle hausse. (...)
Si les Crétois accueillent avec une passivité relative les mesures qui font hurler les Athéniens, c’est que leur économie ne repose pas que sur le tourisme. L’agriculture les aide à tenir le coup. Une femme aux grands yeux curieux me dresse une liste à la Prévert de ce que le pays produit : « Lait, miel, huile, céréales, citron, oranges, moutons, légumes en tous genres, chèvres, poissons, et bien sûr l’huile d’olive. Il y a même des bananes à l’Est de l’île. »
En effet, la Crète est l’une des rares îles grecques qui pourrait s’en sortir sans le tourisme. En plus de créer une manne d’emplois conséquente pendant l’hiver, ce secteur permet aux insulaires de se nourrir sans dépenser d’argent. Yorgos, le restaurateur mécontent, m’explique qu’il a quelques chèvres et un potager qui l’aident à tenir, notamment hors saison, quand les touristes et leurs euros ne sont plus là.
C’est donc là que réside le secret de la sérénité des Crétois. « Nous sommes autonomes. Tout le monde ici sait faire pousser des légumes. Nous n’avons peur de rien. Nous avons tout ce dont nous avons besoin ici pour vivre. C’est pour ça qu’on n’a pas peur de la Troika », m’assure une vendeuse de produits locaux située dans la vieille-ville d’Heraklion. (...)
Beaucoup de mes interlocuteurs s’indignent quand je leur demande ce qu’ils ont voté : « OXI, évidemment ». Seule Aristea, conseillère municipale à Heraklion m’a avoué avoir voté Oui. « Je suis très heureuse que Tsipras ait réussi à trouvé un accord. Une sortie de l’euro aurait été catastrophique pour le pays. Je ne veux pas d’un retour à la drachme. Je crois qu’on peut changer l’Europe. Je crois en la collaboration entre les peuples. »
Un argument que l’on entend aussi chez certains partisans du Non. « Pour beaucoup de grecs, l’euro c’était l’entrée dans la modernité. On n’était enfin plus considérés comme un pays des Balkans. Sortir de l’euro, c’est revenir en arrière, c’est perçu comme une régression », m’explique Dimitri. Et pour cet ancien publicitaire devenu activiste, cette croyance ne vient pas de nulle part. « Donne moi le contrôle des médias et je te dirai quoi penser », glisse-il en dénonçant la propagande pro-euro dans les médias depuis des années et celle encore plus frappante en faveur du Oui qui a eu lieu la semaine qui a précédé le referendum.
Aglae, une jeune femme impliquée dans les mouvements alternatifs « refuse de céder au chantage. On nous a fait croire que sortir de l’euro c’était la mort assurée, moi je vois que c’est en restant dans l’euro que l’on meurt », argue-t-elle en citant les conséquences sanitaires effroyables de l’austérité. (...)
Si la plupart des personnes rencontrées dénoncent unanimement les technocrates de la Troïka qui mènent « une guerre économique où la dette a remplacé les fusils », selon Yorgos, ils sont plus mesurés en ce qui concerne Tsipras et son gouvernement qui bénéficient d’une surprenante indulgence. « Il a été courageux, il n’aurait pas pu faire mieux », m’a-t-on souvent dit en expliquant qu’il devait résoudre une équation impossible : stopper l’austérité sans quitter la zone euro. Yannis au contraire est très remonté contre le premier ministre : « C’était le seul qui aurait pu faire passer ce nouveau plan d’austérité sans déclencher d’émeute grâce à sa côte de popularité. C’est un véritable traître. » (...)