
L’association Fermes d’avenir fonde son projet alternatif sur la multiplication des petites fermes. Mouvement à la communication efficace, il suscite beaucoup d’intérêt mais aussi la discussion. Son nouveau projet ? Exploiter une ferme de 60 hectares en permaculture.
15.000 participants, 300 bénévoles, 220 visites de fermes. Après trois mois de péripéties et 3.300 kilomètres à vélo, le « Fermes d’avenir Tour » s’est achevé le 14 septembre en Touraine à Rochecorbon (Indre-et-Loire). Créatrice de ce festival itinérant, l’association Fermes d’avenir a profité de l’occasion pour organiser ses quatrièmes journées annuelles. Un retour aux sources, puisque ce mouvement est né à une dizaine de kilomètres, de l’autre côté du fleuve, à la ferme de la Bourdaisière, à Montlouis-sur-Loire. (...)
De petites fermes, donc, mais une grande ambition. Au cœur de la stratégie de Fermes d’avenir : l’ouverture. « Nous sommes là pour construire des ponts entre tous les acteurs. Ce n’est pas évident en France, avec nos querelles de clocher… Continuons à convaincre par la positivité et l’enthousiasme », invitait le président de Fermes d’avenir, Tristan Lecomte, à l’ouverture des journées annuelles. Tous les acteurs ? D’aucuns reprochent à l’association sa longue liste de partenaires plus ou moins vertueux. Comme Decathlon, partenaire du Fermes d’avenir Tour, qui n’hésite pas à construire ses « villages sportifs » sur des terres agricoles. Mais il y aussi Renault, qui triche sur ses émissions de polluants, Schneider Electric, Casino, Fleury Michon… « Si l’on veut nourrir toute la population en bio, il faut travailler avec tout le monde », se défend Maxime de Rostolan, fondateur et directeur de Fermes d’avenir. Y a-t-il une ligne rouge ? « Jamais je ne travaillerais avec des vendeurs de pesticides comme Bayer ou Monsanto. » (...)
Une stratégie d’ouverture, une communication efficace, un réseau influent : ces ingrédients ont permis à l’association de se faire une place dans le paysage national… tout en restant un peu à part. Pas toujours appréciée par les porteurs historiques de l’agriculture paysanne ou biologique. Parmi les points de friction, la viabilité économique de ces petites fermes. Permettent-elles de générer un revenu décent dans des conditions de travail acceptables ? (...)
Une première étude menée par l’Inra de 2011 à 2015 au Bec Hellouin, en Normandie, a montré la potentialité d’un tel système : sur cette ferme biologique sophistiquée, une surface de production maraîchère d’environ 1.000 m² (0,1 ha) permet de dégager un revenu acceptable. Mais la ferme de 20 hectares ne peut se résumer à ces 1.000 m² de cultures intensives (...)
Face au manque criant de références, plusieurs études ont démarré pour étudier la performance économique de telles fermes. « Le discours de Fermes d’avenir, centré sur un message optimiste, pourrait laisser entendre que la viabilité est déjà prouvée. Or, nous n’en sommes qu’aux prémices. » (...)
En attendant, ce système suscite l’engouement des porteurs de projet à l’installation qui frappent à la porte des associations de développement, comme celles du réseau Fnab (Fédération nationale d’agriculture biologique). (...)
Autre point de tension, le métier de « payculteur », concept inventé par Fermes d’avenir, pour qualifier un entrepreneur chargé d’accompagner des projets alimentaires territoriaux. À l’automne dernier, les associations locales de développement de l’agriculture paysanne et biologique du pôle Inpact 37 partageaient leurs craintes : le « payculteur », sorte de « manager de plusieurs fermes », pourrait empiéter sur l’autonomie et la liberté de décision des agriculteurs.
« Nous voulons simplement créer un maillon manquant — l’ingénierie de projet de territoire — face à un double constat : l’offre en produits bio locaux est inférieure à la demande, et les collectivités locales disposant de foncier ne savent pas comment installer un paysan », explique le directeur de Fermes d’avenir. Les associations historiques jouent déjà ce rôle, mais elles n’ont pas assez de moyens. « Il existe un réel besoin d’accompagnement territorial », confirme Stéphanie Pageot. (...)
L’avantage des petites fermes ? De faibles surfaces et des charges minimales, qui les rendent accessibles à des candidats avec une faible capacité d’investissement, comme c’est souvent le cas des néopaysans. Mais les petites fermes peuvent-elles changer le système agricole ? En tout cas, la tendance de l’agriculture reste à l’agrandissement. « Le risque serait de voir apparaître un modèle dual, avec un noyau de microfermes d’un côté, et des exploitations de plus en plus concentrées de l’autre, craint Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac France. D’autant que, contrairement à l’objectif qu’avait annoncé l’ancien ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll, la politique agricole commune ne privilégie toujours pas les petites et moyennes fermes, alors qu’elles maintiennent plus d’emplois par hectare. »
Aujourd’hui, Fermes d’avenir change justement d’échelle en expérimentant la permaculture et l’agroécologie sur de plus grandes surfaces. L’objectif : lancer une expérimentation dans trois fermes de 60 hectares, la taille moyenne d’une exploitation française.