
Plus j’évolue dans le milieu du militantisme virtuel et de terrain, plus il en ressort une chose : l’impression d’impuissance, l’épuisement face à un éternel retour. Il survient une crise, on la dénonce à coups de critiques et d’indignation sur les réseaux, parfois on se mobilise, on tente tant bien que mal d’aider de manière concrète.
Et parce-que nous sommes humain.e.s nous passons à autre chose, avec la vague satisfaction d’accomplir notre devoir de solidarité. Ce militantisme que l’on peut qualifier de réactionnaire, toujours en réaction face à, nous donne le sentiment éphémère d’une certaine prise sur le réel.
Plus la satisfaction est grande, plus le contre-coup est dur à encaisser... Et tout ça ne date pas d’hier, évidemment. (...)
Je me pose ainsi la question : est-ce que militer est un moyen efficace et sain pour arracher nos droits et nos libertés ? Que se cache t-il derrière la militance ? Brûler la plantation et la maison du maître avec ses outils ? Ou bien faire communauté, pour résister et engendrer des maquis, des espaces-autres laissant place à divers outils d’expansion de nous-mêmes et donc de notre Liberté ?
Le cas particulier et fondamental des réseaux sociaux
Dans de nombreux contextes les RS permettent une forte mobilisation, le moyen d’échapper à des Etats totalitaires, la fomentation et la pérennisation de révoltes et mouvements de masses. Ils permettent des prises de conscience grâce à une large diffusion et par la vulgarisation de nombreux sujets, concepts, notions etc.
À l’échelle des milieux militants, ils sont le reflet éblouissant de dynamiques décriées in real life. Sans rabâcher les critiques qui ont déjà été adressées à nos milieux - déconstructivisme conduisant à l’immobilisme, posture woke et individualisme... Il est important de souligner les dérives auxquelles nous faisons face afin de mieux les appréhender et les dépasser. (...)
Ce militantisme génère de la frustration, un sentiment d’impuissance face à l’isolement et l’immensité de tout ce qui advient en terme de catastrophes, de polémiques, de lois liberticides. En cela il nous est urgent de (re)faire un travail d’introspection afin de déplacer le curseur à nouveau.
Toutefois, je crois toujours au potentiel nécessaire de ces espaces et de ce qu"ils abritent : des portes d’entrées, des possibilités de faire communauté(s). Tout comme internet, les réseaux sociaux sont des hétérotopies, ces "utopies réalisées. Ces lieux reprennent et contestent en même temps les autres endroits réels désignés dans notre culture". (...)
Faire militance peut revêtir plusieurs formes : désobéissance civile, boycott, hacktivisme, réseaux sociaux, propagande, manifestations, actions culturelles, grèves... Ses actions fondées sur la base d’un combat sont toutes inscrites dans la réaction, l’immédiateté et la récompense dans le schéma suivant : crise > réaction > sentiment d’avancement > satisfaction temporaire. (...)
À y regarder de plus près, militer c’est déjà adopter le langage colonial, intrinsèquement belliqueux et sacrificiel. C’est endosser le rôle de guerrier.e de la justice sociale. Et voilà le glissement vers le langage impérial. Or ce qu’on veut, c’est s’extraire de la vision et de l’action impérialiste ; réfuter ses outils et le cadre restreint qu’on nous autorise à dépasser.
Nous voilà à faire du travail politique, à reproduire la (micro)bureaucratie et ses hiérarchies, dopé.es à la réunionnite aiguë, traversé.e.s par des biais de domination et de luttes de pouvoir (...)
On perd les occasions d’appartenir à nous-mêmes et de faire effectivement commune. (...)
il ne suffit pas de partager certaines caractéristiques pour faire communauté. Toutes les personnes noires ne font pas communauté du fait de leur couleur de peau, toute personne LGBTQI+ n’a pas vocation à faire commune. Faire communauté de manière intentionnelle, c’est d’abord se reconnaitre et décider de vivre ensemble un espace virtuel et/ou réel.
Une agglomération importante de personnes pour bâtir une vie sociale, afin d’améliorer la vie locale, en apportant une compétence peu importe son "importance", et ce dans le long terme. Sa temporalité est différente, il y a un temps pour tout : celui de s’écouter, se soutenir, s’isoler, lutter, célébrer... Nourrie de plusieurs personnes, les forces sont réparties dans le quotidien, la communauté ne s’inscrit pas en dehors de la vie qu’elle veut changer, elle est en son coeur.
Loin des hiérarchies, la communauté n’a pas d’autres choix que l’horizontalité. (...)
Et c’est bien pour ça que cette notion de communauté fait peur en France, diabolisée par la chimère du communautarisme. Pourtant la classe bourgeoise elle n’est pas montrée du doigt face à son communautarisme "choisi", différent de celui soit-disant "subi" par les classes marginalisées. Mais pourtant faire communauté n’a jamais été de l’ordre de l’épreuve mais bien celui de l’amour, porté par l’envie de s’organiser.
Ces deux postures engendrent deux manières bien distinctes de refuser l’ordre établi et de récupérer notre pouvoir
SE MOBILISER (...)
S’ORGANISER (...)
En conclusion, la question de départ, volontairement binaire et caricaturale, s’est posée dans un besoin de rupture. Mais comme souvent en toute chose, c’est dans la complexité que se trouve la justesse. Faire communauté amène aussi à lutter par l’action et la réaction mais c’est l’inverse qui, à mon sens, tend à manquer. Il nous est difficile de faire communauté après nous être consummé.e.s à la réactance. (...)
Le discours du militant afro-américain Kwame Toure est un rappel précieux : la lutte est un processus long aboutissant à la reconquête de notre pouvoir. A mon sens, la communauté. Cette partie de nous, offre déjà une des clés pour le reprendre : l’amour radical de ce Nous qui se reconnaît et déplace des montagnes. L’amour de nous, pour nous, par nous-mêmes.