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Basta !
Facteurs en milieu rural : un métier de service public en grande souffrance
Article mis en ligne le 7 décembre 2016
dernière modification le 6 décembre 2016

La Poste n’a pas attendu François Fillon, qui annonce vouloir supprimer 500 000 postes de fonctionnaires s’il était élu Président de la République, pour mener un immense plan social. Face aux réorganisations incessantes et aux suppressions d’emplois, les facteurs éprouvent désormais le plus grand mal à mener à bien leurs missions de service public. De son côté, la direction considère que les dimensions sociales du travail des facteurs, en milieu rural notamment, doivent devenir un service payant. Cadences infernales, tournées à rallonge, burn-out et suicides… La situation interne devient explosive. Basta ! a suivi la tournée d’un facteur en Franche-Comté, au pas de course.

Comme la plupart de ses collègues, Hervé ne finit pratiquement jamais sa tournée dans les temps. Ce mercredi, il termine à 15h au lieu de 14h30. « Et pourtant je ne traine pas, vous avez vu ? » Pour gagner du temps, Hervé réalise ses tournées en distribuant le courrier par la gauche, côté conducteur, ce qui l’amène à rouler en sens inverse. Une pratique qui peut être lourde de conséquences. « Normalement, il faut descendre du véhicule, éteindre le moteur, fermer. Concrètement, c’est infaisable », appuie Hamza, facteur à Valdahon (Doubs). « C’est pareil pour le vélo, ajoute Eric*, facteur dans une autre commune à dix kilomètres de Besançon. On roule sur le trottoir, alors qu’il faudrait chaque fois descendre du vélo et poser la béquille. Mais si tu fais comme ça, tu ne termines pas la tournée. » Ces cadences intensives sont le quotidien des agents de la Poste, devenue depuis mars 2010 une société anonyme à capitaux publics.
« Le plus grand plan social national »

Dans son local syndical de Besançon, Julien Juif, délégué Sud-PTT, ne décolère pas. « En 2015, 7 600 emplois ont été supprimés à l’échelle nationale, sur 240 000 agents. À la distribution, avec des tournées encore plus chargées, ils n’y arrivent plus. Il doivent faire jusqu’à 800 boites aux lettres dans la matinée ! » Pour justifier les réorganisations, la Poste met en avant la baisse de trafic sur l’activité courrier. Mais celle-ci serait largement compensée par l’augmentation des colis, des recommandés et d’autres services comme la publicité. (...)

« Le programme calcule une minute trente par recommandé et une minute pour relever les boites jaunes, illustre le délégué de Sud PTT. La cadence est définie à partir de conditions optimales. Mais les aléas, les déviations, la neige, la pluie, ne sont jamais pris en compte. Il y a un décalage total entre le travail prescrit et le travail réel. » (...)

« Désormais, vérifier si une personne va bien, c’est un service payant »

La définition de la qualité de service a aussi évolué. « Ce qui importe à la hiérarchie, c’est qu’une lettre ou un colis soit remis au client dans les délais et conditions prévues », souligne le bureau d’experts Tecnologia. Mais pour bon nombre de facteurs, le contact humain est aussi primordial. « Quand j’ai commencé, j’avais du temps pour échanger, rendre des services, vérifier si une personne âgée allait bien, si untel avait retrouvé un travail », se souvient Hervé. Maintenant, c’est réduit au strict minimum : bonjour, au revoir. » « Le facteur, c’est un personnage important pour beaucoup. C’est un service de proximité, poursuit Hamza. Aujourd’hui, les usagers eux-mêmes regrettent de ne plus nous voir. » (...)

Suite à une lettre ouverte envoyée le 13 octobre 2016 à Philippe Wahl, le PDG de la Poste, par huit cabinets d’expertise en santé et travail alertant sur la dégradation des indicateurs de santé et de climat social dans l’entreprise, la direction a ouvert des négociations avec les syndicats, jusqu’au 14 décembre. Durant ce délai, tous les projets de réorganisation des métiers du courrier sont suspendus. « Ce dont nous avons vraiment besoin ? Il faut alléger les tournées, arrêter les pressions managériales et d’objectifs, créer des emplois », détaille Hervé, à la fin de sa tournée. Malgré le sourire qui ne le quitte pas, il ne semble pourtant plus trop y croire. « Moi même, je me demande si je ne vais pas arrêter pour ne pas péter un câble. »