
Pendant des siècles, les paysans ont utilisé leurs propres semences, créant une biodiversité extraordinaire. Aujourd’hui, cette richesse est mise en danger par la rapacité de quelques multinationales. Leur arme ? Les droits de propriété intellectuelle. Face à cette menace, les paysans exigent que les semences restent ce qu’elles ont toujours été : des biens communs.
« Ils sont en train de s’emparer de toutes les plantes qui existent sur la planète ! » Guy Kastler ne cache pas son indignation ni son inquiétude. « Ils », ce sont les industriels semenciers. Monsanto, Pioneer, Syngenta. Une poignée de multinationales qui contrôle aujourd’hui le marché de la semence… et l’avenir de notre agriculture. « Ils nous imposent des lois qui interdisent les semences que les paysans reproduisent dans leurs champs, pour les remplacer par quelques génies (Gènes ?) synthétiques marqués du sceau de leur propriété intellectuelle », explique-t-il.
Syndicaliste aguerri et membre fondateur du Réseau semences paysannes, il défend les droits des paysans, et notamment celui de cultiver, de ressemer et d’échanger des semences. Une pratique millénaire remise en cause depuis près de cinquante ans par l’essor des droits de propriété intellectuelle (DPI).
Créés à l’origine pour empêcher la contrefaçon et protéger les inventeurs industriels, comme pour les droits d’auteur, ces DPI ont peu à peu investi le monde agricole. Avec un argument, réitéré en 1998 par une directive européenne : « La recherche et le développement exigent une somme considérable d’investissements à haut risque que seule une protection juridique efficace peut permettre de rentabiliser. » A coups de brevets et de certificats d’obtention végétale, les semenciers ont ainsi pu s’approprier des variétés prélevées dans les champs des paysans. Et réclamer ensuite des royalties. C’est une aberration, selon Ananda Guillet, de l’association Kokopelli : « Les semences, comme n’importe quel être vivant, n’appartiennent à personne et à tout le monde en même temps, il ne peut y avoir de droit de propriété ! » (...)
Les industriels peuvent breveter ce qui existe déjà
Un accaparement qui s’accélère aujourd’hui via un nouveau type de brevet « sur les caractères natifs ». Jusqu’ici, seules des variétés nouvelles pouvaient faire l’objet d’un titre de propriété. Désormais, « les industriels peuvent breveter ce qui existe déjà », résume Guy Kastler. (...)
En 2001, le Traité international sur les ressources pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) reconnaît enfin aux agriculteurs et aux communautés autochtones le droit de « protéger leurs connaissances traditionnelles, participer aux décisions nationales concernant les ressources et de conserver, ressemer et échanger leurs semences. » Charge à chaque Etat de faire respecter ces nouvelles règles… qui sont bien souvent reléguées au placard.
Faire des semnces un bien commun
Plutôt que de patrimoine commun, les défenseurs des droits paysans préfèrent parler de « commons » ou de biens communs. « Un bien commun est un bien considéré comme un bienfait par tous, et auquel chacun devrait avoir accès », explique l’économiste Laurent Cordonnier. Comme l’eau ou la santé, les semences pourraient relever de cette définition.
Échanger des savoir-faire, se répartir ou mutualiser certaines activités, participer à des programmes de recherche, conserver ou sélectionner de nouvelles variétés adaptées localement... Pour bon nombre de paysans, s’organiser collectivement pour gérer les semences est devenu une nécessité. Cette gouvernance des communs prend souvent la forme de "Maisons des semences". (...)