
Taboue et souvent fantasmée, la question de la « transidentité » bouleverse la vision binaire et traditionnelle du genre et des identités sexuelles. En France, la vie des personnes trans se heurte à des difficultés au quotidien. Violences et humiliations dans l’espace public, discrimination à l’emploi et dans les entreprises, voyeurisme des médias, obstacles juridiques au changement d’état civil... Rencontre avec Jules, Laure et William, qui mesurent le chemin qui reste à parcourir pour qu’elles et ils puissent évoluer dans une société qui leur laisse une place à part entière.
(...) « Le genre est une identité sociale, elle n’est pas liée aux organes génitaux. C’est le fait de se sentir homme, femme, les deux, ou aucun des deux. ».
Le problème, estime Jules, « c’est quand les gens sont forcés de se conformer à une identité attendue socialement en fonction de leur sexe, et qui ne leur convient pas ».
Il est très difficile d’évaluer le nombre de personnes concernées. Les estimations sont très imprécises et probablement sous-évaluées : quelques milliers en France selon la Haute autorité de santé, alors que l’Angleterre en compterait 300 000 pour une population similaire [2]. Peu de données existent. Notamment car il n’y a pas de « parcours type » de personnes trans : certaines prennent des hormones, d’autres non, certains se font opérer, d’autres pas. Le terme « transsexuel », très répandu, est d’ailleurs jugé obsolète par les personnes trans : il est question pour eux avant tout de genre et non de sexe. Le terme « transidentité » leur semble donc plus respectueux [3]. (...)
« Le cheminement peut être long avant d’accepter qu’on ne corresponde pas aux "codes" qu’on nous a enseignés. Les normes nous aident à construire le monde, à poser des mots sur les choses. Mais on ne devrait pas se sentir prisonniers à cause d’elles. »
« Une volonté de discriminer et d’humilier publiquement »
Croisée au bar et retrouvée le lendemain à Belleville, à quelques minutes du départ d’Existrans en direction de Châtelet, Laure a entamé sa transition il y a deux ans. Elle déplore, dans la rue ou dans les transports, les insultes « transphobes » qu’elle subit « quasi-quotidiennement », les « mecs » mal inspirés qui se plaisent à l’appeler « bâtard », « pédé » ou « travelo ». « Je n’ai jamais vécu d’agression physique mais elles sont fréquentes, que ce soit pour les femmes ou les hommes trans. Et, même verbalement, ce sont des choses qui blessent profondément », glisse-t-elle.
Karine Espineira, sociologue spécialisée dans le champ des études du genre, a relevé dans une enquête co-rédigée sur la transphobie, le caractère fréquemment public de ces actes. « Il y a une volonté de la part des gens de discriminer et d’humilier publiquement la personne, expose la chercheuse. Les transports en commun, pour ces personnes, c’est du pain béni. Dans le métro, elles y prennent un malin plaisir, et l’effet de foule fait que la personne qui discrimine se sent en sécurité. C’est terrible. » (...)
Pour la chercheuse Karine Espineira, pour lutter contre ces abus, il faudrait inscrire la transphobie dans une loi ou un décret précis. « Il est difficile pour les victimes d’injustices, d’agressions, de les dénoncer si elles n’ont rien sur quoi s’appuyer. On peut mettre quelqu’un dehors pour tout un tas de raisons, si la transphobie n’existe pas de manière distincte et précise dans la loi, elle devient compliquée à combattre et cette situation rend les gens vulnérables. »
« Médias : visibilité, pas voyeurisme » (...)
Modification d’état civil : une démarche toujours compliquée
Dans la lutte pour l’égalité des droits et en matière de représentation, la situation des trans en France est encore loin d’être satisfaisante. En 1992, déjà, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En cause : les critères restrictifs imposés pour une modification d’état civil. Le projet de loi « Justice du XXIe siècle », adopté début octobre 2016 par l’Assemblée nationale, devait faciliter ce changement de sexe à l’état civil pour les personnes trans. Karine Espineira, Jules, Laure et William sont toutefois unanimes sur ce point : « déçus », « frustrés » et « dubitatifs » quant au réel intérêt de cette loi pour simplifier cette démarche et la vie des trans en France. (...)