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Face au militantisme, “nous sommes revenus à un système de répression des années 1960 et 1970”
Suite et fin de notre série d’articles consacrée à la Semaine internationale de la rébellion qui se déroule du 12 au 19 avril.
Article mis en ligne le 23 avril 2019
dernière modification le 21 avril 2019

La chercheuse en sciences politiques Vanessa Codaccioni s’inquiète de la criminalisation croissante du militantisme. En refusant la politisation des mouvements de contestation, le pouvoir va jusqu’à les assimiler à du terrorisme.

Ici, des écolos entendus par la police après avoir décroché des portraits d’Emmanuel Macron ; là, cinq personnes convoquées au poste pour un tweet un peu trop sarcastique ; partout, des Gilets jaunes inquiétés pour leur engagement. Après avoir étudié les juridictions d’exception et l’antiterrorisme, Vanessa Codaccioni, maître de conférences en sciences politiques à l’université Paris-VIII, s’intéresse à la manière dont le pouvoir mate la meute. Dans Répression, l’Etat face aux contestations politiques (éd. Textuel), un court texte d’intervention, elle s’inquiète de la criminalisation croissante du militantisme, un coup « terroriste », un coup « délinquant », et pourtant dépolitisé par le pouvoir, quelle que soit sa forme. De comparutions immédiates en fiches S discrétionnaires, où nous mène cette mauvaise pente ? (...)

Face à des manifestations qui durent dans le temps, l’objectif du pouvoir devient très visible : en finir le plus rapidement possible avec ce mouvement, l’annihiler. Les chiffres extrêmement élevés de la répression participent de ce processus. En punissant, on signale aux manifestants et à l’opinion publique que cette contestation n’est pas acceptable, pas légitime, donc pas légale et réprimable. Ce faisant, il s’agit d’empêcher toute forme de solidarité avec les Gilets jaunes, en mettant une pression toute particulière sur les primo-manifestants. (...)

Plus un type de militantisme va contester l’ordre, plus il va être réprimé. Ceux qui paraissent les plus radicaux dans leur manière de vivre sont particulièrement visés. J’y vois un mouvement concomitant. S’il existe aujourd’hui une lutte violente contre la radicalité politique, il y a depuis le début des années 2000 une aggravation de la répression contre tout mouvement social. Plusieurs exemples récents sont là pour en attester : les manifestations de la loi Travail en 2016, la mobilisation contre Parcoursup en 2018, ou les gardes à vue massives du lycée Arago [le 22 mai 2018, 102 jeunes dont 40 mineurs avaient été interpellés après l’occupation de cet établissement du 12e arrondissement de Paris, ndlr].

Pourquoi ce durcissement ?
Trois facteurs sont à prendre en compte. D’abord, un renouveau des luttes, y compris à l’étranger, avec le mouvement altermondialiste et l’apparition des black blocs ; ensuite, l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, qui a mis en place une politique sécuritaire de tolérance zéro, que ce soit face aux révoltes urbaines en 2005 ou lors des manifestations contre le CPE en 2006 ; enfin, et nous y reviendrons, la logique antiterroriste s’est mise à innerver tout le système répressif. (...)

au quotidien, et c’est un phénomène récent, l’écrasante majorité de ces comparutions implique des jeunes racisés en situation d’exclusion sociale. Lors de celles-ci, les prévenus ont moins de trente minutes pour se défendre. En si peu de temps, comment pourraient-ils se revendiquer d’une lutte, expliquer un engagement ? J’ai assisté à plusieurs comparutions immédiates de Gilets jaunes, lors desquelles ils essayaient, en vain, d’invoquer des motifs politiques. Puisqu’il est trop visible d’avoir des ennemis politiques dans les prétoires, on les fait disparaître. Lors du procès de Christophe Dettinger [le boxeur poursuivi pour avoir frappé deux gendarmes le 5 janvier dernier, ndlr], il y avait tellement de journalistes que personne ne pouvait entrer dans la salle d’audience. Cette fabrique d’accusés populaires est insupportable pour le pouvoir.

“Le gouvernement est pris entre deux tendances : réprimer sévèrement les manifestants, et les empêcher de politiser leurs revendications” (...)

Il y a fort à parier que certains mis en cause mettront en œuvre des défenses politiques. C’est un outil de lutte pour les mouvements réprimés, c’est une arme pour dénoncer la répression et, à travers elle, la politique gouvernementale. Le problème, c’est que la parole politique n’est plus reconnue au tribunal, qu’elle sorte de la bouche des accusés ou de celle des avocats. (...)

Les mots, depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, sont très importants. Le pouvoir s’est évertué à minimiser, voire à nier les violences policières. (...)

Personnellement, j’ai été très marquée par l’expression « foule haineuse », et surtout par l’utilisation systématique du mot « complices ». Qu’il s’agisse d’Emmanuel Macron, d’Edouard Philippe ou de Christophe Castaner, c’est une menace pour briser la solidarité vis-à-vis des mouvements protestataires. Quand Castaner accuse les ONG d’aide aux migrants d’être complices des passeurs, c’est exactement le même procédé. (...)

Le politique a une responsabilité qu’il ne reconnaîtra jamais dans cette violence. Mais maintenant que ces dérapages sont filmés au smartphone, il doit bien s’en saisir. On notera d’ailleurs qu’en juin 2018 la France a été condamnée deux fois par la Cour européenne des droits de l’Homme dans des affaires de violences policières. (...)

L’appareil répressif a été complètement contaminé par l’antiterrorisme. Et ce qui caractérise l’antiterrorisme, c’est la neutralisation préventive, avant le passage à l’acte. Autrement dit, le curseur de la répression s’est déplacé. (...)

Nous sommes revenus à la France des années 1960 et 1970, quand tous les militants étaient traités comme des terroristes par des dispositifs répressifs, qu’ils soient colleurs d’affiches maoïstes ou membres de l’OAS. (...)

on en parle trop peu, mais il y a aussi une répression par l’argent, d’autant plus importante qu’elle vise aujourd’hui des personnes en situation de précarité. Le nouveau délit de dissimulation du visage, par exemple, est puni de 15 000 euros d’amende. Ça devient une manière très forte de dissuader les aspirants manifestants. Qui va parler d’une contredanse ?

SEMAINE DE LA REBELLION, MODE D’EMPLOI
C’est quoi : la Semaine internationale de la rébellion a été lancée par Extinction Rebellion, un mouvement né en Angleterre en octobre 2018 et qui depuis essaime dans de nombreux pays – parmi lesquels la France, l’Italie, l’Allemagne et les Etats-Unis. L’idée : mener des actions de désobéissance civile non-violente afin d’intensifier la protestation contre l’inaction politique en matière de lutte contre le changement climatique et la disparition des espèces. D’autres organisations environnementales ont annoncé qu’elles participeraient à cette semaine internationale de la rébellion.