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Face à la répression, l’opposition à Bure cherche à se renouveler
Article mis en ligne le 5 juin 2019

Ce mardi 4 juin, un nouveau « procès Bure » se tient à Bar-le-Duc. Face à une répression inédite et confrontée aux enjeux pharaoniques du dossier, l’opposition locale au projet Cigéo est affaiblie. Entre recomposition et décentralisation, de nouvelles formes de résistance émergent pour s’adapter à ce nouveau contexte. (...)

Voilà vingt ans que l’Agence nationale des déchets radioactifs (Andra) a posé ses valises à Bure, à seulement quelques kilomètres de chez M. Simon, avec l’idée d’y enfouir à terme les déchets radioactifs de l’industrie nucléaire à 500 mètres sous terre. C’est le projet Cigéo. Vingt ans que l’agence rencontre sur place une opposition tenace. (...)

Depuis un peu plus d’un an l’atmosphère a bien changé à Bure, comme dans les communes des alentours concernées par le projet. À partir de 2015 puis surtout de 2016, des opposants à Cigéo s’étaient mobilisés par dizaines, s’installant dans la région pour prêter main-forte aux habitants, prenant de court les autorités. Un nouveau souffle pour une vieille lutte qu’on pensait enterrée. Aux éternels recours juridiques et manifestations venait se greffer la fougue de la jeunesse. Occupation du bois Lejuc, blocages du chantier, achats de maison et lancement d’activités agricoles mais aussi pratique de l’automédia ou encore présence offensive sur les réseaux sociaux : associations et habitants « historiques » ont été bousculés par les méthodes des nouveaux installés.

Une composition loin d’être évidente mais qui a tenu bon, permise notamment par des lieux de lutte et de rencontre communs. La Maison de résistance, d’abord, centre d’accueil et d’organisation de la contestation au cœur de Bure depuis son rachat par une poignée de militants en 2004. Mais surtout le bois Lejuc, petite parcelle de forêt entre Bure et Mandres-en-Barrois devenue épicentre du conflit à partir de 2016 et son occupation par les militants. L’idée d’empêcher son défrichement par l’Andra s’est imposée comme une évidence au-delà des différends générationnels ou politiques. Une occupation dont tous gardent un souvenir nostalgique (...)

« Mais la brutalité du camp d’en face [l’État] a porté ses fruits : les perquisitions, les garde à vue, les procès et tout le reste, ça a un peu décapité le mouvement. »

Une implacable répression policière et judiciaire s’est abattue sur les opposants

Sur les deux dernières années, une opération policière et judiciaire sans précédent a en effet été menée pour maîtriser l’opposition dans les campagnes meusiennes et haut-marnaises. Interception de communications à l’aide de matériel dernier cri, recours aux écoutes, géolocalisation des opposants, balisage de plusieurs véhicules sans oublier des dizaines de perquisitions : des moyens dignes de l’antiterrorisme qui n’ont épargné personne. Pas même les habitants historiques. (...)

La machine judiciaire n’a pas non plus été en reste. Depuis le début de l’année 2018, les opposants ont cumulé près de 40 procès rien qu’en Meuse, 27 interdictions de territoire, une instruction pour association de malfaiteurs qui concerne 7 personnes et interdit à 10 autres de rentrer en relation. Le tribunal de Bar-Le-Duc s’est habitué à ces fameuses « séances Bure » sous très haute surveillance policière. (...)

Bien que la juriste se refuse d’accepter le terme de « laboratoire » de la répression, elle note que des dispositifs comparables ont depuis été appliqués aux Gilets jaunes. (...)

Il a aussi fallu faire une croix sur les rassemblements à Bure ou à Mandres-en-Barrois. « Ici, la taule est un outil qu’ils emploient facilement, ça ne vaut pas le coup. » Les patrouilles incessantes de gendarmes à bord de leur Jeep militaire surannée le lui rappellent au premier pas dehors. Alors, il faut continuer la vie comme avant ou presque (...)

Sur place, tout est devenu beaucoup plus compliqué. La plus simple réunion relève désormais du parcours du combattant. La Maison de résistance a perdu de sa superbe. Le bois Lejuc est sous surveillance permanente depuis son évacuation le 22 février 2018 par 500 gendarmes en arme accompagnés de tractopelles.
« La lutte ne doit pas être seulement sur ce territoire, on se bat contre Cigéo “et son monde” »

« Ça a été une année gouffre pour nous, reconnait Juliette Geoffroy, du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs (Cedra), on se rend compte que c’est difficile de se passer d’une lutte de terrain » en évoquant à demi-mots l’évacuation du bois. « Vitrine », « lien central », « quelque chose qui fédérait tout le monde, qui faisait sens » : l’opposition à Cigéo semble y avoir perdu gros. Le Hibou express, petite feuille de chou interne qui servait à faire passer les nouvelles entre les différentes composantes, n’est plus tiré. (...)

« Les actions visibles ici sont devenues hyper compliquées. Mais la lutte ne doit pas être seulement sur ce territoire, on se bat contre Cigéo “et son monde”. Tous les comités de soutien à travers la France doivent devenir des maillons essentiels de cette agitation, pas seulement soutenir de loin. » C’est d’autant plus vrai que le projet Cigéo a traversé une année blanche, désarmant en partie l’opposition locale. « On ne savait pas comment rebondir, on a manqué de perches » (...)

L’année 2019 a donc été l’occasion pour l’opposition d’expérimenter de nouvelles formes d’actions moins frontales, plus axées sur la sensibilisation et l’information. Des militantes originaires de la région ont lancé un cycle de conférences, sillonnant les territoires concernés par Cigéo, de Strasbourg à Reims en passant par Saint-Dizier. Déjà, une vingtaine d’évènements depuis décembre, réunissant entre 60 et 90 personnes, parfois plus. (...)

« On s’inscrit dans une démarche de fond, avec l’objectif de répondre à notre manière au débat public [sur la gestion des déchets radioactifs], qui a été lancé, rappelons-le, tout juste une semaine après l’expulsion du bois Lejuc ». Et de rappeler : « boycotté par toutes les associations ! » Consensus visiblement assez précieux pour être souligné.
« Cette espèce de lutte nomade, c’est important, ça nous permet de souffler »

L’Atomik Tour s’inscrit dans cette même veine, mais cette fois à l’échelle nationale. (...)

L’occasion aussi de prendre la température, un peu partout en France, de l’opposition à Cigéo. (...)

En parallèle, de nouveaux fronts plus concrets s’ouvrent un peu partout dans la région. « Le projet Cigéo a besoin d’un désert, mais encore plus d’un désert nucléaire », dit Juliette, en faisant référence à tous les projets liés à l’industrie nucléaire qui se multiplient dans la région. À commencer par la laverie Unitech à côté de Joinville. Destiné à laver 1.900 tonnes de linge contaminé par an, le projet a déclenché une levée de boucliers. (...)

Mais il y aussi Saint-Dizier, lieu d’installation de Socodéi, une usine spécialisée dans la réparation d’outillage contaminé déjà en service. Pour la militante du Cedra, aucun doute : « Tous ces projets font rentrer de nouvelles personnes dans la lutte, localement, près de chez eux. »

Les travaux préparatoires à Cigéo devraient aussi donner du grain à moudre à l’opposition. Raccordement des sites en eau et en électricité, défrichements des bois concernés ou encore réhabilitation de la voie ferrée doivent être achevés avant le décret d’autorisation prévu pour 2022. Bien que certains opposants accusent l’Agence de les avoir déjà lancés en toute discrétion, le calendrier indicatif de l’Andra ne parle lui que de 2020, dès le feu vert de la déclaration d’utilité publique. Autant de chantiers qui pourraient relancer l’opposition. (...)