
Chaque année au mois d’octobre se déroulent les assemblées annuelles du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale. Habituellement elles ont lieu à Washington, où les deux institutions ont leur siège, mais une années sur trois, c’est à un autre pays qu’est gracieusement accordé le privilège de recevoir l’événement. Cette année, c’est le Japon qui a accueilli la rencontre du 9 au 14 octobre.
L’événement réunit les Conseils des Gouverneurs du FMI et de la BM, mais aussi les grands dirigeants du secteur public - banques centrales, ministères des finances et du développement - et du secteur privé, ainsi que de nombreux spécialistes issus du milieu universitaire. Il consiste en une succession de séances d’information, de séminaires et de conférences de presse sur diverses thématiques liées « aux perspectives de l’économie dans le monde, à la lutte contre la pauvreté, au développement économique et à l’efficacité de l’aide » selon les mots des organisateurs. C’est à cette occasion que les deux institutions présentent leurs rapports annuels. Vitrine de choix donc pour ces doctrines développées par les plus grands analystes économiques et statistiques mondiaux. Et belle occasion pour nous de faire le point sur l’état de cette pensée économique dominante. Que pensent les hommes et les femmes à la têtes de ces institutions financières internationales ? Quelles sont leurs analyses, et quelles solutions proposent-ils ? Comment envisagent-ils notre avenir ? Et surtout, dans tout cela, quel mot avons-nous à dire ? (...)
Qu’on ne s’y trompe pas. La logique du FMI reste la même : pour ce dernier, la consolidation fiscale donc l’austérité, est une nécessité qui ne se discute pas. Il faut bien payer ses dettes... On nous apprend quand même qu’un climat d’incertitude fiscale effraye les investisseurs et « justifie » l’augmentation des taux d’intérêt notamment du fait de la hausse des taux d’indexation. On insiste aussi beaucoup sur l’inter-connectivité de l’économie-monde. La bonne santé des fiscalités européennes ou américaines agit directement sur les économies du reste du monde. Si les pays riches ne mettent pas en place des plans d’austérité, ils vont ruiner les pays en développement, comme Christine Lagarde nous le rappelle dans sa présentation. Les nations civilisées ont un devoir envers l’humanité : elles doivent présenter une fiscalité équilibrée exemplaire, il en irait presque de la survie des enfants africains (on appréciera à cet égard les visuels des rapports qui mettent immanquablement en scène un Tiers-monde pittoresque accolé à des photos de gens sérieux et « cravatisés » parlementant au sein d’hémicycles modernes).
Mais, et on le répétera souvent au cours des diverses interventions, il ne s’agit plus de respecter à la lettre des objectifs quantitatifs. Soucieux de ne pas apparaître comme des bailleurs de fonds autoritaires ou rigides, veillant probablement à ne pas susciter les critiques dont on les a largement accablés ces dernières années, c’est une véritable rhétorique de la souplesse que développent les représentant des IFI. Ainsi il faudra probablement deux ans de plus à la Grèce pour mettre en place son programme de consolidation fiscale. Mais cela n’est pas très grave pour le FMI car il s’agit avant tout de « gagner la course » de la compétitivité, quitte à aller plus lentement. De plus, le FMI affirme que les États devraient pouvoir emprunter à des taux raisonnables (voilà qui se tient), afin, s’empressent-ils de préciser, de pouvoir recapitaliser leurs banques sans accroître leur dette souveraine...
Enfin, l’objectif reste clair, il faut mettre en place des mesures de consolidation fiscale qui fassent émerger une structure fiscale saine. Mais, à quoi ça ressemble une structure fiscale saine ? Si vous, ou votre gouvernement ne le savez pas très bien, ne vous inquiétez pas. Le FMI lui il sait, et il est là pour vous conseiller. (...)
Derrière un discours apparemment réformé, on se rend rapidement compte que la substance idéologique est absolument inchangée. On déplore avec constance la diminution des échanges internationaux, réifiés en une ineffable source de richesse. Et l’objectif ultime est toujours celui de la croissance économique. Mais cet objectif transparaît là encore à travers un discours revisité, avide de références aux « développement humain » et autres indicateurs sociaux. La Banque Mondiale, caution sociale infaillible des institutions de Bretton-Woods, publie son Rapport sur le Développement Humain 2013 sur la thématique de l’emploi, estimant qu’il est la clé de « l’amélioration des niveaux de vie, l’accélération des gains de productivité et la promotion de la cohésion sociale ». Là encore, c’est la vision du monde que nous offre la Banque Mondiale qui nous apparaît plutôt réductrice. Ainsi, elle nous rappelle qu’une « économie se développe lorsque les compétences individuelles progressent, que les populations quittent les champs pour travailler dans des entreprises, et que des emplois plus productifs sont créés tandis que d’autres, moins productifs, disparaissent ». Quels sont-ils ces « emplois moins productifs » ? Et qu’ont « les champs » de tellement repoussants ? C’est en fait toute l’utopie libérale qui transparaît derrière le discours des IFI. Celle-ci peut être définie très simplement comme visant à l’autorégulation de la société par le marché. Le libéralisme correspond au rêve d’une société sans État où les rapports marchands grâce à la loi de l’offre et de la demande viendraient garantir une harmonie sociale définitive (...)
Une fois encore, ces Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale confirment qu’il est vain d’espérer des changements significatifs dans l’idéologie de ces deux institutions. Les remplacer par des organisations démocratiques et respectant les droits humains demeure une nécessité.