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FAIRE DISPARAÎTRE LES PESTICIDES EST UNE PRIORITÉ ABSOLUE, PAR RENÉ TRÉGOUET
Article mis en ligne le 15 octobre 2018
dernière modification le 14 octobre 2018

Sénateur honoraire, créateur du groupe Prospective du Sénat, René Trégouet, pionnier du numérique, édite depuis près de vingt ans la lettre d’information RTFlash, dédiée à la science et à la technologie. Comme la majorité de ses homologues sénateurs, il a toujours témoigné de son attachement à l’agriculture française. L’éditorial qu’il signe dans la dernière livraison de RTFlash en revêt d’autant plus d’importance puisqu’il affirme sans équivoque, au fil d’une analyse approfondie de plusieurs publications scientifiques, tant françaises qu’internationales, que « faire disparaître les pesticides est une priorité absolue »…

« Une récente étude publiée dans la revue de référence « Environmental Health Perspectives » (EHP) est venue relancer le débat scientifique de plus en plus vif sur la question récurrente des effets délétères sur la santé humaine provoquée par une exposition simultanée, via l’alimentation, à plusieurs pesticides, y compris lorsque cette exposition reste en dessous des normes réglementaires en vigueur.

Conduits par des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ces travaux montrent que des rongeurs mâles chroniquement exposés simultanément à six pesticides courants, même à des faibles niveaux, subissent des transformations métaboliques néfastes : forte prise de poids, augmentation du taux de masse grasse et apparition d’un diabète. Ces résultats sont d’autant plus importants qu’ils confirment ceux provenant de l’étude épidémiologique NutriNet.

Cette étude, qui porte sur les comportements alimentaires de plus de 50 000 personnes, a montré, en 2013 puis en 2017, que les plus gros consommateurs d’aliments provenant de l’agriculture biologique ont un risque sensiblement diminué de souffrir d’un surpoids ou d’une obésité et de développer un syndrome métabolique (précurseur du diabète de type 2), par rapport aux non consommateurs de ces aliments produits sans pesticides. (...)

Il est intéressant de souligner que les conclusions de ces recherches vont dans le même sens que celles réalisées en 2013 par l’équipe de Brigitte Le Margeuresse-Basstinoni, chercheuse au laboratoire en cardio-vasculaire métabolique, à Lyon.

Ces précédentes recherches avaient en effet montré que l’exposition d’animaux à un cocktail constitué d’autres substances chimiques (Bisphénol A, phtalate, PCB et dioxines) provoquait, in fine, le même type de dérèglement métabolique.

Mais le principal enseignement de cette nouvelle étude de l’INRA est incontestablement qu’elle vient confirmer la réalité et la nature imprévisible de « l’effet cocktail » provoqué par une exposition conjointe à plusieurs substances chimiques, dont les effets, au lieu de s’additionner, semblent plutôt se multiplier.

Confrontés aux résultats convergents de ces différents travaux scientifiques très sérieux, l’Agence européenne pour la sécurité des aliments vient d’annoncer qu’elle avait demandé qu’une première évaluation concernant les effets cumulés d’un groupe de pesticides cibles dans la thyroïde et le système nerveux soit réalisée avant la fin de cette année.

Mais pour en revenir à l’étude de l’INRA, elle change notablement la donne en ce qui concerne l’identification et le poids des différents facteurs épidémiologiques impliqués dans le diabète. Cette pathologie touche à présent 425 millions de personnes dans le monde. (...)

Cette étude de l’INRA est également à rapprocher d’un autre travail publié il y a un an par des chercheurs de l’Inserm et de l’Université de Brunel à Londres. Cette équipe internationale a développé des modèles de prédiction mathématique des effets combinés des molécules, à partir de leur profil toxicologique. Ils ont rentré les données de 27 molécules, dont 7 médicaments, 14 molécules chimiques d’usage industriel (pesticides) et 6 molécules dites « socio culturelles » (alcool, caféine…).

Là encore, les chercheurs ont constaté que l’exposition simultanée à des doses très faibles de plusieurs perturbateurs endocriniens au cours du premier trimestre de grossesse pourrait entraîner un risque pour le futur appareil génital et reproducteur de l’enfant. Autre découverte de cette étude, les exacerbations des effets individuels des différentes molécules testées pouvaient aller jusqu’un facteur 1000…

Ce vaste travail de recherche, salué par la communauté scientifique internationale, a également eu le mérite de montrer qu’il est possible de prédire, en utilisant un logiciel adéquat, un certain nombre d’effets cocktails complexes, provoqués par l’interaction et la synergie de plusieurs dizaines de molécules.

D’une manière plus générale, un autre problème de santé publique très important doit ici être évoqué car il devient réellement préoccupant.

Il s’agit de la baisse constante de la fertilité masculine observée en Europe et en France depuis 50 ans (...)

cette baisse constante, sur une aussi longue période, inquiète gravement de plus en plus le monde scientifique et médical. La France n’échappe pas à ce phénomène dont les causes précises restent à ce jour inconnues.

L’Agence Santé publique France a ainsi confirmé, dans une étude publiée en juillet 2017 que les substances chimiques perturbatrices endocriniennes étaient impliquées dans l’augmentation des maladies liées au système hormonal (...)

Dans une autre étude, les chercheurs de Santé Publique France, de l’Hôpital Robert Debré à Paris et de l’Université Paris 7-Diderot, ont montré que ces perturbateurs endocriniens, contenus notamment dans les pesticides, pourraient jouer un rôle important dans le phénomène croissant de puberté précoce qui se manifeste par des signes de puberté avant l’âge de huit ans chez les filles et de neuf ans chez les garçons. La forme la plus fréquente observée est la puberté précoce centrale idiopathique (PPCI). L’étude souligne également que l’on observe des surincidences marquées de ces cas de puberté précoce dans les régions les plus riches en cultures agricoles permanentes.

Citons enfin une autre étude publiée en avril 2017 et dirigée par le Docteur Jing Liu, professeur associé à l’Université Zhejiang de Hangzhou en Chine. Ce travail a pu établir un lien entre l’exposition à des insecticides fréquemment utilisés dans l’agriculture et l’élevage, les pyréthrinoïdes, mais également dans des produits domestiques tels que certains sprays anti-moustiques ou les shampooings anti-poux, et une puberté précoce chez les garçons. (...)

En France, il faut rappeler qu’en dépit de la volonté des gouvernements successifs, la quantité totale de pesticides utilisés par l’agriculture a continué à augmenter de 5 % par an entre 2005 et 2010, avant de se stabiliser autour de 66 000 tonnes par an, ce qui fait de notre pays le 5ème plus gros consommateur de pesticides dans le monde, derrière la Chine, l’Argentine, le Mexique et l’Ukraine.

Ces chiffres montrent qu’on reste très loin de l’objectif du plan gouvernemental Ecophyto. Lancé en 2008, dans la dynamique du Grenelle de l’environnement, ce programme d’actions visait au départ à diviser par deux le recours aux pesticides d’ici à 2018. Face à cet échec patent, le plan Ecophyto 2, a repoussé à 2025 cet objectif pourtant nécessaire d’une réduction de moitié de la consommation de produits phytosanitaires dans notre pays.

Il existe pourtant, dans de nombreuses situations, des solutions alternatives efficaces à l’utilisation des pesticides, comme le montre l’ANSSA. L’Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire nationale a publié le 30 mai 2018 un rapport très intéressant, intitulé « Risques et bénéfices des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes et de leurs alternatives ». (...)

tation de ces insectes qui emplissent une mission de pollinisation indispensable. La loi biodiversité a prévu l’interdiction des néonicotinoïdes en France depuis le 1er septembre 2018.

Heureusement, la recherche agronomique progresse à pas de géant et les chercheurs de l’INRA, dont les travaux sont hélas peu médiatisés, ont réalisé au cours de ces dernières années des avancées majeures dans la mise au point de nouveaux vecteurs naturels de lutte contre les maladies et parasites s’attaquant aux cultures. Par exemple, pour parvenir à éradiquer le cynips du châtaignier, une micro-guêpe originaire de Chine qui dévaste les exploitations en Europe, ils ont identifié un parasitoïde très efficace, le Torymus sinensis. Celui-ci est à présent utilisé à grande échelle avec succès depuis 2010 et les régions productrices de châtaignes ont retrouvé leur niveau de production d’il y a 10 ans.

Autre grande avancée de l’INRA, l’utilisation du trichogramme, une micro-guêpe parasitoïde qui va pondre ses œufs dans les larves des pyrales qui déciment le maïs. Ces trichogrammes pourraient bientôt protéger riz, canne à sucre, ou tomate sous serre. Il est également possible, pour lutter contre le carposcape, un ravageur des pruniers, d’utiliser des phéromones, hormones naturelles, qui vont perturber les vols des papillons.

L’INRA travaille par ailleurs sur une arme biologique ciblant le carpocapse de la pomme, une larve qui peut faire de gros dégâts sur les récoltes de ce fruit très consommé en France. Ces scientifiques ont réussi à acclimater un parasitoïde, Mastus ridens, issu du Kazakhstan. Celui-ci s’attaque avec efficacité à la larve et les premiers lâchers en verger devraient intervenir d’ici à 2019.

Mais cette lutte biologique contre les ravageurs et nuisibles, qui s’attaquent aux cultures, ne prendra sa pleine efficacité qu’en synergie avec trois autres outils en plein développement : la recherche de nouvelles variétés génétiques résistantes aux maladies et prédateurs, l’agriculture de précision et la robotique agricole.(...)

A la lumière de toutes ces évolutions scientifiques et techniques, je suis convaincu qu’il est tout à fait possible de réduire considérablement, sur une génération, l’utilisation des pesticides, sans augmenter les coûts de production, et en conservant, voire en améliorant, les excellents niveaux de productivité agricole de notre agriculture. (...)

aujourd’hui, notre agriculture est confrontée à de nouveaux défis, liés notamment à l’adaptation au changement climatique, à l’évolution de la demande des consommateurs, et à la nécessité de mieux intégrer la composante environnementale et sanitaire dans les modes de production.

Je suis certain qu’avec le soutien actif de l’État, des collectivités locales, mais aussi des consommateurs, nos agriculteurs sauront relever, comme ont su le faire leurs grands-parents dans les années d’après-guerre, ces nouveaux défis et sauront faire de leur métier une activité tournée vers l’avenir, pleinement respectueuse de l’environnement et de la nature et répondant aux nouvelles exigences des consommateurs et aux attentes de la société. »