Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Temps réel/Nouvel Obs
Evacuation des migrants de Pajol : "On en fait des fantômes"
Article mis en ligne le 9 juin 2015

Les migrants installés sur l’esplanade de la rue Pajol, dans le 18e arrondissement, ont été évacués brutalement par les forces de l’ordre. Reportage.

Sous les balcons d’un immeuble, deux retraités constatent : "Personne ne veut les accueillir". Ils parlent des migrants qui ont trouvé refuge juste en face, sur l’esplanade Nathalie Sarraute, en face de la Halle Pajol (18e arrondissement) fraîchement rénovée et devenue en quelques mois un aimant à bobos parisiens. La plupart d’entre eux ont été évacués du camp de la Chapelle mardi dernier. D’autres sont arrivés en France il y a seulement trois jours. Ils n’ont connu que les nuits dans le square voisin de l’église Saint-Bernard, avant l’évacuation policière qui les a menés jusqu’à la rue Pajol.

Ici, on ne parle pas encore de camp, mais les migrants ont tout de même voulu signaler leur présence aux habitants du quartier. Au bord du trottoir, ils ont accroché plusieurs exemplaires de la lettre qu’ils ont rédigée ensemble. Les feuilles de papier sont scotchées à des cageots, eux-mêmes ficelés à des poteaux et à des arbres. Ils y exposent leur situation en anglais et en français :
Nous sommes des migrants venus d’Afrique en France. […] Le gouvernement comme ils l’appellent (maire) nous a dit d’aller vivre dans un hôtel. Ils nous ont emmené à l’hôtel, et ne nous ont rien donné. Pas de papiers, pas de logement. Ensuite, ils nous ont envoyé à Pajol."

Après avoir rappelé en lettres majuscules qu’ils sont des "être humains", ils concluent : "Nous croyons avec beaucoup d’amour au peuple français." A côté, une affichette sollicite l’aide des voisins. Couvertures, chaussures, nourriture.(...)

A Pajol, les bénévoles sont nombreux à venir en aide aux réfugiés.(...)

"On les déplace de rue en rue mais ça ne sert à rien. Ils ne font que les épuiser, tout est fait pour que le groupe s’étiole et ça fonctionne, surtout quand ils doivent courir blessés et pieds nus. On est en train d’en faire des fantômes. La force qu’ont les migrants ici, c’est d’avoir compris qu’il faut rester ensemble car s’ils s’isolent c’est fini pour eux."(...)

"Ici, en France, on n’a pas trouvé la liberté. On n’est pas des réfugiés mais des SDF. Tout ce qu’on demande, c’est des papiers et un logement."

Les migrants ne se séparent plus de leurs affaires, de peur que la police les fasse disparaître en leur absence. Avec quelques autres, Kamal a décidé d’entamer une grève de la faim à partir d’aujourd’hui. Dans l’espoir d’être enfin entendus : "Le problème c’est que la mairie et le gouvernement ne savent pas ce qu’on a souffert pour venir ici, la traversée du désert, les morts… Ils écoutent mais ignorent ce que c’est"(...)

13h30, les CRS débarquent

Peu après 13 heures, changement d’ambiance. Alors que la distribution de nourriture continue, une petite équipe de policiers rejoint l’esplanade. Plutôt discrète, elle reste à l’écart des migrants, et se contente d’échanger à distance avec des talkie-walkies. Une demi-heure plus tard, les CRS font une entrée remarquée. Les migrants reculent, les observent bras croisés, inquiets.

Tandis que les CRS commencent à boucler le périmètre, des fourgonnettes viennent se garer dans la rue, au bord de l’esplanade. Les bénévoles, qui ont bien compris que les migrants allaient être embarqués dans ces "paniers à salade", essaient de gagner du temps. Certains forment une ligne droite pour empêcher les CRS de passer. D’autres demandent aux forces de l’ordre où elles comptent mettre les migrants.(...)

"Solidarité avec les réfugiés !"

Les CRS tentent d’avancer jusqu’aux migrants mais les bénévoles, militants et élus locaux - qui ont enfilé leur écharpe de fonction en espérant qu’elle incitera les CRS à plus de retenue - forment un barrage solide. Un chant commence à monter de cette ligne de défense improvisée : "Droit d’asile, droit à l’hébergement !" Pendant ce temps, Cannelle et ses amies font le tour de l’esplanade pour récupérer un maximum d’affaires, afin d’éviter que les migrants se retrouvent sans rien si jamais ils parviennent à revenir rue Pajol.

La tension monte. Les CRS ont encerclé les migrants, retranchés contre les murs de la bibliothèque et de l’auberge de jeunesse. Ils commencent à multiplier les assauts, sans véritable succès, alors que la foule s’accroît aux cris de "Solidarité avec les réfugiés !", "Honte à la République !", "Pas d’évacuation sans hébergement", ou encore "les élus avec nous !". Yordans, qui fait partie des migrants encerclés, parvient à s’extraire sans violence.(...)

A 14h45, on passe aux affrontements. Un des CRS, près de la fourgonnette, pousse violemment à terre une photographe. Elle se relève, imperturbable, et immortalise son portrait. Les quelques migrants que les CRS parviennent à extirper de la foule lors de leurs assauts réguliers sont immédiatement transportés dans le véhicule. Les captifs collent leurs mains aux vitres et observent la scène, impuissants.(...)

Les gendarmes mobiles surgissent en renfort à 15 heures. L’assaut est donné une demi-heure plus tard, sous les huées de "Honte !" et "Liberté !". Les forces de l’ordre procèdent alors à l’évacuation méthodique des migrants, un par un ou deux par deux. Les réfugiés, portés à bout de bras après avoir été extirpés du groupe, transitent au milieu du cordon dressé par les CRS. Le véhicule se remplit inéluctablement.(...)

16 heures. Une bonne trentaine de migrants sont encore adossés à la bibliothèque. La foule scande : "Nous sommes tous des enfants d’immigrés". Les CRS finissent par recourir au gaz lacrymogène et embarquent les derniers. Un migrant fait un malaise, il est transporté dans le café voisin et aspergé d’eau par les bénévoles.

Dans la fourgonnette, qui s’apprête à partir pour le commissariat de la rue de l’Evangile, l’un des captifs observe le chaos ambiant, juste au-dessus de l’affichette manuscrite qu’il a collée à la vitre : "Où est la Cour européenne des droits de l’Homme ?"