
Eugénie Izard est pédopsychiatre depuis 16 ans, elle exerce à Toulouse. Le 19 février, elle poste un tweet qui sera vu par 100.000 personnes. Dans la foulée, elle livre un témoignage vidéo où elle déclare, "Aujourd’hui je paye le prix de mon engagement… mon engagement à protéger les enfants contre les sévices."
Après la pédopsychiatre Catherine Bonnet, qui a témoigné récemment pour Marieclaire.fr sur sa carrière brisée il y a vingt ans, cette nouvelle affaire prouve, s’il le fallait, qu’en France, il reste difficile de protéger les enfants maltraités et en particulier ceux victimes d’inceste.
Condamnée pour violation du secret professionnel
Tout a commencé en 2015, quand la Dre Izard signale des maltraitances sur une enfant suivie en psychothérapie, "Je n’ai pas fermé les yeux malgré le fait que son père qu’elle accusait de maltraitances était médecin. S’en est suivi plusieurs années de pression et de représailles ce jusqu’à cette ultime condamnation scandaleuse."
Face aux blocages, au déni, et à la colère aussi de voir des petits patients maltraités renvoyés systématiquement chez leur parent agresseur, elle a fondé avec des collègues, le REPPEA (Réseau de professionnels pour la protection des enfants et des adolescents), qui, dit-elle, dérange.
Faut-il y voir une coïncidence, juste après la création de ce réseau, elle a reçu une première plainte… celle de ce père médecin qui vient d’aboutir après cinq ans de procédure à une condamnation en appel du conseil départemental de l’Ordre des médecins à trois mois d’interdiction d’exercice de la médecine.
"L’heure est grave pour l’avenir de la protection des enfants, cette condamnation pour violation du secret professionnel parce que j’ai envoyé un signalement à un juge pour enfant est scandaleuse et vise à encore plus interdire aux médecins de pouvoir communiquer avec les professionnels chargés de protéger les enfants", dénonce cette pédopsychiatre engagée, qui refuse d’être muselée et en appelle désormais à l’opinion publique.
Entretien. (...)
En vérité, je n’ai pas fait un signalement mais une information ; et je l’ai faite au juge des enfants car il avait déjà été saisi, une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) était en cours pour cette enfant.
Contrairement à la condamnation de l’Ordre, cela n’est nullement interdit, c’est même essentiel à la protection des enfants, et c’est autorisé par les dispositions de l’article L.226-2-2 du code de l’action sociale et des familles issues de la loi n°2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance qui autorisent le partage de tels éléments qualifiés "d’informations préoccupantes" entre professionnels concernés par la protection de l’enfance. Je n’ai jamais pu me défendre de cela puisqu’on ne m’en a jamais accusée jusqu’à la condamnation finale. (...)
À cette conciliation, les conseillers étaient sur un présupposé "d’aliénation maternelle", alors que j’étais la seule à avoir suivi cette affaire et donc la seule à pouvoir donner un avis objectif. Eux, n’ont jamais, vu l’enfant. Ils ont traité l’affaire comme si le père n’avait rien fait et que j’étais intervenue abusivement ou tendancieusement, ce qui n’était bien sûr pas le cas.
En 2021, le syndrome d’aliénation parentale est encore une arme utilisée en France contre les mères et comme la pédopsychiatre Catherine Bonnet, il y a 20 ans, vous êtes empêchée dans votre devoir de protection de l’enfance…
Oui, le patriarcat hélas est encore partout dans notre société. Jusqu’à présent, j’avais réussi à passer entre les gouttes. Une telle condamnation est grave parce qu’elle va encore plus contribuer à terroriser toute la profession qui est déjà plus que frileuse quand on sait que seulement 2 % des signalements émanent des médecins.
Je suis une cible particulière parce que je suis la présidente du Réseau de professionnels pour la protection de l’Enfance et de l’Adolescence (REPPEA). Ce réseau qui pourtant cible les questions d’inceste et de pédocriminalité devrait donc être soutenu par l’Ordre, mais manifestement il dérange pour des raisons que je ne comprends pas. (...)
Vous défendez les enfants et vous vous retrouvez sur le banc des accusés…
C’est une inversion de la culpabilité classique. Il y a une grande méfiance vis à vis de notre association comme si nous étions des militants allumés alors que nous sommes un réseau de presque 60 professionnels engagés auprès des enfants maltraités, que nos publications ont la reconnaissance de notre communauté professionnelle, que nous avons publié dans des revues scientifiques référencées, et que nous avons écrit quatre livres collectifs sur la protection des enfants et leurs besoins fondamentaux, cette méfiance exacerbée est donc incompréhensible.
D’ailleurs, si l’Ordre avait des reproches déontologiques à formuler au sujet de nos publications ou de nos actions pourquoi ne l’a-t-il jamais fait ? (...)
Que comptez-vous faire ?
Je médiatise l’affaire et je vais faire valoir mes droits auprès du Conseil d’État. Il faut absolument changer ces lois extrêmement mal faites qui permettent encore de poursuivre les professionnels qui veulent faire leur travail de protection des enfants et les entravent dans cet exercice déjà bien difficile. Nous soutenons, comme la pédopsychiatre Catherine Bonnet, l’obligation de signalement pour les médecins, mais pas seulement.
Plusieurs lois sont à modifier (...)
Pratiquement tous les pédopsychiatres refusent de voir un enfant s’il n’y a pas l’accord des deux parents et la plupart des psychologues ont aussi peur des représailles de ce côté-là. Il est évident que les parents qui maltraitent les enfants vont quasi systématiquement s’opposer à ce suivi, imaginez-vous qu’un père qui commet l’inceste va accepter qu’un psy suive son enfant au risque de faire un signalement ? C’est ridicule. La loi sur l’autorité parentale conjointe n’a prévu aucune exception pour les enfants maltraités ce qui est très grave, ils sont privés de soin alors qu’ils font partis des plus fragiles et vulnérables de notre société, nous allons tout faire pour changer cela.