(...) Dissolution des Soulèvements de la Terre, interpellations par la police de la sous-direction de l’antiterrorisme, écoutes… Depuis quelques semaines, la pression se durcit sur les activistes écologistes. Mardi 20 juin, dans le cadre de l’enquête sur le saccage de la cimenterie Lafarge de Marseille en décembre 2022, la police a interpellé une quinzaine de militants. La plupart sont ressortis sans faire l’objet de poursuites judiciaires. C’est le cas de Félix Blanc, militant EELV, fonctionnaire à la mairie de Marseille – où il est en charge… de la transition écologique ! – qui a été placé en garde à vue avant d’être libéré au bout de trente-six heures, sans suite, ayant été visiblement l’objet d’une erreur de personne. Une interpellation « absurde », mais aussi inquiétante par ce qu’elle révèle des surveillances exercées par la police sur les militants. Voici son témoignage.
(...) Sept membres des forces de l’ordre entrent chez moi. Je suis en état d’arrestation et une perquisition de l’appartement a été ordonnée. Je suis menotté. Les motifs de mon arrestation me sont donnés dans la foulée : association de malfaiteurs, dégradation en bande organisée, dégradations aggravées. S’ensuit la fouille mon appartement, en présence de ma compagne et de mon fils.
La personne en charge de l’enquête se tourne vers moi : « C’est pour Lafarge, le 10 décembre. Vous connaissez ? » Et moi de répondre : « J’en ai entendu parler dans la presse. » Un des enquêteurs me demande si je possède une casquette rouge. De quoi parle-t-il ? Je commence à flipper. Je lis l’incompréhension dans les yeux de ma compagne, mêlée de peur et de colère.
Notre fils n’a pas été réveillé. Je pars soulagé en quittant le domicile. Ordinateurs et téléphones sont saisis. Le conducteur est nerveux. Je lui demande son âge. Il a 22 ans. Je sens chez lui un certain malaise. Le copilote est plus expérimenté, autour de 45 ans. Il est aussi très nerveux. Il y a beaucoup de trafic. La sirène est déclenchée. Le copilote se met à hurler et à insulter les voitures qui sont sur notre passage, où il est parfois difficile de s’écarter compte tenu de l’étroitesse des rues.
Arrivée à la gendarmerie. Mon interrogatoire commence. Je m’entretiens au préalable avec mon avocat. Je lui dis que je suis parfaitement innocent, qu’il est question d’une photo. Il me rassure, me dit qu’il me suffit de dire la vérité. Que le maire de Marseille l’a appelé et me soutient. Que d’autres personnes ont été interpellées. C’est une grosse opération avec d’importants moyens. La tension monte d’un cran.
Nous partons en audition. S’ensuit une série de questions toutes préparées, vraisemblablement par la sous-direction antiterrorisme de la gendarmerie nationale. Certaines sont particulièrement absurdes : « Etes-vous influencé par la question du réchauffement climatique » ? « Etes-vous sensible à l’éco-anxiété » ? « Avez-vous lu “Guerre, paix et écologie” de Ben Cramer, où il est écrit que William Cohen, secrétaire d’Etat à la Défense a parlé pour la premier fois, en avril 1997, de terrorisme écologique – vingt-cinq ans avant Gérald Darmanin ? » (...)
« Avez-vous participé à une manifestation pour préserver les terres agricoles de Pertuis en juin 2022 ? » Oui, j’y étais, et j’ai été contrôlé à l’entrée de la manifestation, survolée par des hélicoptères. Cette manifestation a déclenché la surveillance de mon téléphone, m’apprend-on.
Il m’est demandé de retracer la journée du 10 décembre. Je finis par me souvenir que j’étais à une fête de famille, et ensuite à une fête de Noël organisée avec des amis chez nous, avec plus de 20 personnes. (...)
Les choses commencent à se clarifier dans mon esprit. Lors d’une longue nuit d’insomnie. Je refais le film de la journée du 10, en boucle. J’essaye de comprendre comment j’ai été ciblé par l’enquête. Je reconstitue le schéma suivant :
D’abord, le contrôle d’identité à Pertuis lors d’une manifestation. Puis la mise sous surveillance de mes activités téléphoniques. Après le 10 décembre, fouille à distance de mon répertoire pour identifier tous les numéros présents sur site, grâce à un fichier de collecte massive des métadonnées. Identification de 11 contacts présents sur zone (une fois ou de manière répétée). Examen de mon activité et inactivité téléphonique. Identification d’un visage ressemblant au mien sur une caméra de vidéosurveillance.
La troisième et dernière audition commence. J’explique les éléments analysés pendant la nuit et les incohérences entre les indices et le déroulé de ma journée. La photo m’est enfin montrée, après trente heures de garde à vue. La photo est floue. Les traits du visage ne permettent pas d’identifier des caractères distinctifs. Le nez n’est pas apparent à cause d’un jeu d’ombre. Les yeux ne sont pas visibles. En revanche, sont parfaitement visibles une casquette rouge et une barbe de plusieurs mois. Pas de lunettes alors que je ne sors jamais sans. Un sentiment d’absurde envahit la salle d’interrogatoire. (...)
Une question m’a taraudé tout au long de ces deux jours ? Que dit mon arrestation de l’état du pays ? Est-ce une erreur de procédure ? Une coïncidence ? Une arrestation politique ? Questions légitimes, pour qui connaît mon parcours. (...)
Je tire plusieurs conclusions de cette affaire, qui dépasse de loin ma personne, et qui démontre la dérive autoritaire de notre régime politique et l’incompétence des services mobilisés : (...)
1. Cette enquête a été rendue possible par une série de lois qui ont été votées en France après les attentats de septembre 2001 et de l’adoption du Patriot Act aux Etats-Unis : sur la surveillance, la lutte contre le terrorisme, le séparatisme. (...)
2. Cette enquête révèle que les services de l’Etat n’ont manifestement rien appris de l’affaire Tarnac, influencée par la vieille théorie du bouc émissaire. (...)
3. Cette utilisation traduit enfin le détournement des moyens de l’Etat à des fins politiques. (...)