
Le ministre de la justice a refusé ce jeudi de répondre aux questions des juges de la Cour de justice de la République qui l’avaient mis en examen pour « prise illégale d’intérêts ».
L’inconvénient, lorsqu’on choisit de nommer ministre de la justice un avocat notoirement allergique aux magistrats, c’est qu’il faut en assumer les conséquences. Or depuis sa prise de fonctions Place Vendôme en juillet 2020, Éric Dupond-Moretti s’est souvent comporté à la façon d’un éléphant découvrant la présence de souris dans un magasin de porcelaine.
Derniers dégâts en date : son audition devant la Cour de justice de la République (CJR), ce jeudi 3 mars au matin. Convoqué pour la deuxième fois, il devait être interrogé dans le cadre de sa mise en examen pour « prise illégale d’intérêts », mais le garde des Sceaux s’est refusé à répondre à la moindre question des trois juges de la commission d’instruction. Au prétexte qu’ils feraient preuve de partialité et s’acharneraient sur sa personne, Éric Dupond-Moretti a tourné les talons après leur avoir lu une déclaration écrite, qui a été mise en ligne peu de temps après sur son site par le journal L’Opinion. (...)
Le ministre de la justice est mis en cause pour avoir utilisé les moyens disciplinaires de son ministère dans le but d’affaiblir des magistrats anticorruption avec lesquels il avait été lui-même en conflit quand il était avocat.
Se plaignant d’un dossier qui serait construit de toutes pièces par des syndicats haineux et des magistrats revanchards, le ministre mis en examen a notamment déclaré ceci : « Je n’entends plus, désormais, répondre à vos questions. J’attends sereinement de pouvoir m’expliquer devant la formation de jugement de la Cour de justice de la République pour y défendre mon honneur, et rétablir enfin une vérité que vous ne souhaitez pas voir depuis le premier jour de votre instruction. »
Il est vrai que les parlementaires sont plus nombreux que les magistrats dans la formation de jugement de la CJR, et souvent plus indulgents avec les ministres qu’ils ont à juger.
Cet incident s’inscrit dans une stratégie de guérilla procédurale. Il survient après deux tentatives restées vaines d’Éric Dupond-Moretti pour faire récuser les trois juges qui instruisent son dossier à la CJR. Le ministre de la justice a également formé deux pourvois en cassation : l’un pour faire annuler sa mise en examen, l’autre pour faire entendre dans la procédure le procureur général près la Cour de cassation, François Molins, qui pilote l’accusation à la CJR.
Pour que l’on sache bien en quelle estime il tient la justice, le ministre s’était, quelques jours avant son audition, affiché en compagnie de son ami Thierry Herzog, l’avocat de Nicolas Sarkozy, condamné pour corruption à trois ans de prison dont un an ferme, ainsi qu’à cinq ans d’interdiction d’exercer, dans la fameuse affaire Bismuth. (...)
Certes, aucune mesure de contrôle judiciaire ne leur interdit de se voir et de se parler. Mais Thierry Herzog doit être rejugé en appel en novembre 2022, en compagnie de Nicolas Sarkozy et Gilbert Azibert, et le ministre de la justice exerce une tutelle hiérarchique sur le parquet, qui portera l’accusation. (...)
À peine nommé ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti s’était déjà montré, dans Paris Match, aux côtés de son ami Herzog, en août 2020, alors que celui-ci devait être jugé peu de temps après dans l’affaire Bismuth.
Quelques jours plus tard, le garde des Sceaux profitait de ses nouvelles fonctions pour déclencher des poursuites disciplinaires contre des magistrats avec lesquels il avait eu des différents personnels lorsqu’il était avocat. Un mélange des genres qui lui vaut aujourd’hui d’être mis en examen, pour avoir exercé une vindicte personnelle dans deux dossiers. (...)
Éric Dupond-Moretti a été entendu le 16 juillet 2021 pendant près de six heures par trois juges de la commission d’instruction de la CJR, la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger des ministres pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions.
À l’issue de cet interrogatoire, il a été mis en examen pour « prise illégale d’intérêts », une première pour un garde des Sceaux en exercice.