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Basta !
Entre pression budgétaire et protection de l’enfance : la vie quotidienne des assistantes sociales
Article mis en ligne le 17 octobre 2015
dernière modification le 13 octobre 2015

Les médias reprochent régulièrement aux assistants sociaux d’intervenir trop tardivement en cas de maltraitance. Mais qu’en est-il de leurs conditions de travail ? Face aux idées reçues, Basta ! a recueilli le témoignage de deux assistantes sociales qui relatent leur quotidien, la misère sociale des familles rencontrées, et leur volonté de s’attaquer à la racine des problèmes. Un objectif aujourd’hui mis à mal : les évaluations chiffrées et la pression de la hiérarchie sont de plus en plus importantes, forçant les travailleurs sociaux à aller toujours plus vite, parfois au détriment d’un accompagnement de qualité.

« Pourquoi les services sociaux n’ont-ils rien vu ? » C’est la question posée, le 11 septembre dernier, par un journaliste de France Info [1] lors du procès des parents de Bastien, un enfant mort enfermé dans un lave-linge. Lorsque survient ce genre de tragédie, les travailleurs sociaux sont très souvent pointés du doigt. « Soit les médias demandent ce qu’ont fait les services sociaux, soit il leur est reproché d’être trop intrusifs », réagit Ariane [2], assistante sociale dans un service départemental de l’Aide sociale à l’enfance du sud-est de l’Hexagone. « On ne parle jamais du rôle de la justice, qui détient le pouvoir décisionnel à part entière, dans ces situations. Dans notre service, nous ne pouvons intervenir que si le juge nous envoie une ordonnance, et dans d’autres services, c’est avec l’adhésion des familles, ce qui limite certaines interventions. »
134 000 enfants placés hors de leur milieu familial

C’est précisément ce qui s’est joué dans l’affaire de Bastien. Deux ans avant le drame, un appel anonyme avait alerté sur cette situation. Un signalement a été fait par les services du conseil départemental au parquet de Meaux, qui n’a pas estimé devoir saisir le juge des enfants. Ce blocage de la machine judiciaire, Ariane s’y heurte quotidiennement.(...)

« On peut proposer de réduire le droit de visite si l’enfant montre des signes de souffrance, témoigne-t-elle. Mais une fois le rapport rendu à notre supérieur et transmis au magistrat, ce dernier estime souvent qu’il n’y a pas besoin de protection supplémentaire, et c’est frustrant. »
Aider concrètement et au quotidien les familles

Si les projecteurs médiatiques sont régulièrement braqués sur les faits divers de maltraitance ou d’homicides d’enfants, ils évacuent toute la graduation des actions menées par les assistantes sociales auprès de familles qui ont besoin d’aide. C’est le rôle de Pauline, qui travaille dans le service d’aide éducative à domicile pour un conseil départemental. Elle intervient auprès de familles dont les enfants rencontrent des problèmes comportementaux ou relationnels. « Il y a toujours une première phase d’observation, de deux ou trois mois, même si je me base sur le rapport de l’assistant social de secteur, explique t-elle. L’enjeu est de comprendre pourquoi ça coince ». Face à un enfant qui exprime sa toute-puissance, au sein de sa famille, Pauline va d’abord accompagner sa mère à la sortie de l’école et observer ce qui se passe, ou bien organiser des sorties avec l’enfant, avant de définir des objectifs avec la famille. (...)

Logique comptable imposée aux travailleurs sociaux

Mais cette mission est mise à mal par d’autres priorités, quantitatives celles-ci, imposées aux travailleurs sociaux. Depuis quelques années, une logique gestionnaire [4] a pénétré le secteur social. Tout est compté, quantifié. Le nombre de rencontres, d’appels téléphoniques, de kilomètres parcourus, de demandes d’aide financière. Les durées de placement et d’accompagnement des familles. « On met des bâtons et on compte, raconte Pauline. On remplit une grille statistique chaque année. Tous les mois, on reçoit un historique de nos interventions, généré à partir des informations que nous remplissons dans un logiciel. “Vous avez fait tant de demande d’aide financière.”, etc. » (...)

Les chiffres remontent à la hiérarchie. Les départements sont comparés. Des objectifs sont fixés sans parfois tenir compte du contexte socio-économique du territoire. « Dans notre département, il y a trop de placements, nous dit-on », relate Pauline. Il faut donc courir d’une famille à l’autre, enchaîner les prises en charge. Avec un temps partiel à 80 %, Ariane gère vingt-deux situations de placements à la fois.

Pauline suit trente-cinq enfants en même temps, soit deux de plus qu’il y a quelques mois. Les deux assistantes sociales sont obligées de prioriser les rendez-vous. « Quand c’est plus chaud, on essaie de leur rendre visite une fois tous les quinze jours », précise Pauline. « J’ai le sentiment de ne pas faire mon travail comme j’aimerais le faire », estime Ariane.
Liste d’attente pour jeunes potentiellement maltraités

Les deux assistantes sociales sont prises dans un étau : d’un côté, la pression chiffrée de la hiérarchie ; de l’autre, la volonté de « bien faire » leur travail (...)

« Je n’ai pas le temps de faire un vrai travail d’accompagnement », regrette Ariane. Moins coûteuses que les foyers, les familles d’accueil ne sont que trop peu contrôlées, alors que des soucis, voire de la maltraitance, y sont parfois identifiés. Les prises en charge psychologiques sont réduites. Les temps d’attente s’allongent (une liste de plus de soixante-dix jeunes dans certains départements), ce qui accroît les inquiétudes des professionnels.

Un jour, une petite fille suivie par Pauline dessine une maison emplie de sexes masculins, avec une fillette triste à l’intérieur. Pauline signale la situation au juge, qui décide de mettre en place une mesure éducative en milieu ouvert. Mais le délai d’attente est alors de six mois. « Que pouvait-il se passer pendant ce temps ?, s’interroge l’assistante sociale. (...)

« Pour protéger mon entourage, raconte Ariane, je ne leur parle pas de mon métier. On entend des choses tellement horribles. » L’assistante sociale regrette un manque de soutien psychologique, des temps d’échanges « pour nous, sur nos pratiques, ce que ça nous renvoie ». Et aimerait avoir plus de temps « pour travailler auprès des enfants et des parents ».