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Basta !
Entre déclassement réel et préjugés fantasmés, cette France rurale qui se réfugie dans l’illusion du vote Le Pen
Article mis en ligne le 15 décembre 2016
dernière modification le 7 décembre 2016

Dans la Manche, le vote en faveur du Front national a gagné du terrain lors des élections de 2015. Dans ces villages entre plages et bocages, délaissés par les activités économiques et désertés par les services publics, le sentiment d’abandon et de relégation attise les frustrations et les rancœurs. Une situation qui rend les habitants sensibles aux discours du FN, pointant du doigt des boucs émissaires ou rejetant en bloc « les élites ». Paroles de commerçants, d’ouvriers ou d’agriculteurs qui se déclarent tentés par le vote « Marine Le Pen ». Et ce, malgré toutes les contrevérités et les intox diffusées par le FN. Reportage.

(...) En Basse-Normandie, la Manche était jusqu’alors le département où le Front national (FN) était le moins implanté. En 2015, la donne a changé. Au premier tour des départementales, les binômes du FN y ont remporté près d’un quart des suffrages. Même score aux deux tours des régionales pour la liste frontiste de Nicolas Bay. À Lingreville, commune littorale de 919 habitants, le FN a recueilli 28% au premier et au deuxième tour des régionales (en 2007, la liste FN y avait totalisé moins de 12% des votes).
« Il y a deux sortes de Français »

D’habitude, Alain est « pour la droite ». S’il a voté pour le Front national l’an dernier, il ne se considère pourtant « pas de ce côté-là. Mais c’était pour faire voir ». Avec sa casquette de marin, ses yeux bleus qui regardent droit devant, sa courte moustache blanche, on l’imaginerait volontiers à la barre d’un petit bateau de pêche. Pourtant, aujourd’hui encore, cet agriculteur à la retraite passe une bonne partie de ses journées à la ferme, pour aider son benjamin qui a repris l’exploitation laitière. En 2017, Alain est prêt à voter pour le FN au premier tour de la présidentielle. « Le pire, c’est si tout le monde fait pareil », dit-il en terminant sa phrase par un petit sifflement. Il craint que Marine Le Pen soit élue dès le premier tour. Autour de lui, des protestations s’élèvent : « Ça fera comme avec Chirac. Au dernier moment, les gens vont se retourner. »

« Nous ne sommes pas des intellectuels. Ils ne nous écoutent pas » (...)

« On avait une épicerie, un restaurant, une boulangerie, un petit bistrot. Il n’y a plus rien, même pas un dépôt de pain. Les gens sont venus là pour leur retraite, ils ont construit et ils sont obligés d’aller se faire dépanner au canton, à 5 km. Et certains ne peuvent pas y aller, ils sont trop âgés. » Didier, les bras croisés sur le comptoir, ironise sur sa commune, Bricqueville-sur-Mer, 1173 habitants, où il n’y a plus aucun service non plus. « On est ravitaillé par les corbeaux, et encore ils passent sur le dos pour ne pas voir la misère qu’il y a en dessous ! »

Jean-Benoît Rault, 55 ans, agriculteur et maire (sans étiquette) de Lingreville, voit dans cette disparition des services publics et des commerces de proximité un terreau fertile pour le Front national [2] (...)

Le maire de Lingreville craint que ce sentiment d’abandon ne s’accroisse avec la loi Notre (Nouvelle organisation territoriale de la République), qui renforce le pouvoir des régions aux dépens des départements et redéfinit les compétences des différentes entités administratives. Elle encourage les petites communes à se regrouper pour avoir plus de chances d’obtenir des dotations. Au-delà du fait que cette réorganisation complexe est mal comprise par la population, « on professionnalise les élus et cela éloigne encore plus le citoyen de la prise de décision ».

« En France, ce sont les entreprises qui gouvernent, elles sont au-dessus de l’État » (...)

« Si voter changeait quelque chose... »

Parmi ceux que le Front national rebute, la colère monte aussi. Nicolas Seyve, commercial de 40 ans, parcourt toute la Manche et s’arrête parfois au Bar des Princes, à Quettreville-sur-Sienne. « Nico » a grandi dans une famille de gauche et a longtemps voté socialiste, « par éducation et par principe ». Mais aujourd’hui, il est lassé de la politique. Lassé de voir les mêmes têtes depuis trente ans, toutes issues des mêmes écoles. « Juppé, il a des casseroles et il se représente ! Là, j’apprends que Macron doit payer l’ISF et qu’il a oublié de déclarer des choses dans son patrimoine, il va se présenter aussi ? Est-ce qu’ils sont représentatifs des Français ? » Aux régionales, il ne s’est pas déplacé. « Coluche disait : ‘Si voter changeait quelque chose, il y a longtemps que ça serait interdit !’ » Au premier tour de la présidentielle, sa voix ira à Mélenchon. Pas sûr qu’il vote ensuite.
(...)