
Une enquête pour « viol sur mineure de plus de quinze ans », visant un chirurgien de l’hôpital Tenon, a été ouverte par le parquet de Paris fin septembre. Plusieurs de ses patientes avaient dénoncé, depuis 2013, des violences gynécologiques auprès de l’AP-HP, de Sorbonne Université et de l’Ordre des médecins, sans qu’aucune vérification n’ait été lancée.
Depuis des semaines, sur les réseaux sociaux, déferlent des témoignages de patientes et d’étudiantes en médecine visant le chirurgien gynécologique Émile Daraï, en poste à l’hôpital Tenon, à Paris. Relayés par le collectif Stop aux violences gynécologiques et obstétricales, tous ces messages rapportent des propos et des gestes d’une grande violence à l’égard de femmes souffrant d’endométriose et de cancers gynécologiques. Les articles de presse ont suivi, en commençant par celui du magazine Flush. La mobilisation ne faiblit pas : une manifestation est organisée ce samedi 2 octobre à 11 heures devant l’hôpital Tenon à Paris. (...)
Le 20 septembre, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et Sorbonne Université, les deux employeurs de ce praticien hospitalier et professeur des universités, ont lancé une enquête interne.
Une patiente a par ailleurs déposé plainte dans la foulée, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « viol sur mineure de plus de 15 ans », le 28 septembre.
Dans cette affaire, l’inertie de la hiérarchie hospitalière et universitaire remonte cependant à plusieurs années. Interrogée par Mediapart, l’AP-HP indique en effet avoir retrouvé six réclamations de patientes dans ses archives, adressées à l’hôpital Tenon entre 2013 et mi-septembre 2021 -auxquelles six autres témoignages se sont ajoutés depuis.
D’après nos informations, la faculté de médecine de Sorbonne Université, où le professeur Daraï enseigne, avait également reçu plusieurs alertes d’étudiantes en médecine.
Contacté par Mediapart, Émile Daraï, qui bénéficie de la présomption d’innocence, n’a pas donné suite. Selon France Info, il a fait savoir via l’AP-HP qu’il « conteste les faits dont on l’accuse et récuse des propos qu’il juge diffamatoires », et il ajoute qu’il « s’en remet à l’enquête interne ».
Émile Daraï n’a pas été suspendu, il continue à exercer. (...)
« Il fallait que des étudiantes en médecine témoignent pour que les patientes soient enfin prises au sérieux », constate, un peu amère, Marie-Rose Galès. Elle aussi souffre d’endométriose. Elle milite pour que soit connue, reconnue et correctement prise en charge cette maladie longtemps méprisée par la médecine. L’endométriose, qui touche 10 à 15 % des femmes, a longtemps été assimilée à l’hystérie, cette névrose féminine décrite par Freud. L’errance et les maltraitances médicales sont la norme pour ces patientes. (...)
« L’endométriose, c’est s’entendre dire, continuellement, que les douleurs sont dans notre tête, c’est subir des examens gynécologiques brutaux alors que nous sommes très douloureuses. On apprend à encaisser les violences verbales, physiques, on intègre qu’on est des chochottes, on devient résistantes à la douleur », explique Marie-Rose Galès.
40 % des femmes qui ont des règles douloureuses souffrent d’endométriose, à des degrés divers. Les causes de cette maladie ne sont pas bien comprises, mais sa manifestation est très concrète : l’endomètre, une muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus et accueille l’embryon lors d’une grossesse, se développe d’une manière anormale en dehors de l’utérus, et colonise les ovaires, le vagin, le rectum, la vessie, l’intestin, jusqu’aux reins ou au nerf sciatique. « C’est un endomètre mutant, des métastases non cancéreuses qui grignotent les organes », explique Marie-Rose Galès. Les femmes les plus gravement atteintes souffrent beaucoup, sont souvent infertiles, peuvent être handicapées physiquement.
Le chirurgien Émile Daraï opère les cas les plus graves, en enlevant cet endomètre mutant. Cette chirurgie est risquée, des organes peuvent être touchés. Grâce à ces opérations, lorsqu’elles se passent bien, des femmes peuvent retrouver une qualité de vie, leur fertilité.
En 2018, dans les témoignages de patientes sur Émile Daraï, Marie-Rose Galès identifie « une signature : des touchers rectaux sans consentement, des femmes qui ont mal, pleurent, crient ». Elle fait un appel à témoignages, en reçoit dix. Sur ses conseils, trois patientes écrivent au médiateur de l’hôpital : « Il aurait dû recevoir les patientes, les écouter, faire un rapport à la direction. »
Il ne s’est en réalité presque rien passé pour au moins deux des patientes qui ont pris la plume pour décrire les violences subies. (...)
« Une direction laisse un médecin être maltraitant, et lui permet en plus de me répondre, dit aujourd’hui Alexandrine D. J’en ai conclu qu’il est couvert. » Cette consultation a eu des conséquences médicales : « Je n’ai plus consulté de gynécologue pendant trois ans et demi. Pendant ces années, mon endométriose s’est aggravée, je me suis mise en danger. » (...)
Des alertes étaient également présentes sur le site où les étudiants en médecine partagent entre eux leurs évaluations de stages (cliquer sur les extraits pour les lire. TV signifie toucher vaginal, TR toucher rectal, CCA chef de clinique assistant). (...)
Des étudiants passés par le service du professeur Daraï vont être auditionnés par l’enquête interne. L’AP-HP en détaille le déroulement : elle doit associer un représentant des usagers, deux membres de la faculté de médecine Sorbonne Université et un chef de service de gynécologie-obstétrique d’une autre faculté de médecine. Seront également entendus « des personnels médicaux et paramédicaux du service, d’anciennes patientes et le professeur Daraï lui-même ».
Marie Citrini, représentante des usagers de l’AP-HP (mais pas à l’hôpital Tenon) précise : « Si des éléments ne sont pas explicites dans les courriers des patientes, elles seront recontactées par un usager. Il faudrait aussi déterminer si d’autres alertes ne sont pas arrivées dans le service et n’ont pas été remontées. Puis nous irons au devant du professeur Daraï. Nous questionnerons aussi les membres de son équipe : quelle possibilité avaient-ils de savoir, de s’opposer ? »
Elle reconnaît que le système de médiation entre les médecins et les patients montre ici de sérieuses limites (...)