
Comment une enquête de qualité sur les violences policières contraste avec le pire du journalisme de préfecture.
Le 17 octobre, Le Monde fait paraître une enquête vidéo de qualité : à partir de centaines de vidéos, photos, et interviews de témoins, une équipe du quotidien a reconstitué en contexte l’intégralité de la scène ayant débouché sur l’agression d’un manifestant par la police, le 12 janvier 2019. Ce jour-là, Olivier Béziade, pompier volontaire et gilet jaune, manifestait à Bordeaux. Alors qu’il courait complètement isolé pour fuir une charge de police, des agents de la BAC tirent un, puis deux LBD, et deux autres policiers lancent une grenade lacrymogène puis, en cloche, une grenade de désencerclement. Le deuxième tir de LBD atteint Olivier Béziade en pleine tête. Les journalistes du Monde rappellent que le gilet jaune a subi un traumatisme crânien, une hémorragie cérébrale, de multiples fractures du crâne et qu’il souffre aujourd’hui d’hémiplégie. Confrontant les faits à un bulletin officiel du ministère de l’Intérieur sur l’usage des LBD, ils montrent enfin combien les policiers sont en faute de A à Z, depuis les tirs qu’ils opèrent jusqu’à la non-assistance à Olivier Béziade, à terre, la tête en sang [1]. (...)
Si l’enquête du Monde rappelle qu’un journalisme de qualité est bel et bien possible dans les grands médias, elle rappelle également combien ce journalisme y est isolé et marginal. Les journalistes du Monde se sont livrés à un travail d’enquête plus sérieux que nombre de leurs confrères à propos de ces violences policières.
Plus sérieux que le « c’est la faute à pas de chance », de Bruce Toussaint.
Plus sérieux que les jérémiades d’un autre confrère alors chroniqueur à BFM-TV, Nicolas Domenach, qui sermonnait Jérôme Rodrigues, éborgné en manifestation, alors que ce dernier racontait comment la police lui avait tiré dessus : « N’employez pas des mots comme "tirer dessus". Au Venezuela on tire dessus. Ne dites pas ça ! » [3]
Plus sérieux que les interviews de Léa Salamé ou de Thomas Sotto, qui, le 17 octobre, et après avoir mentionné cette enquête du Monde, n’apportaient aucune contradiction à Christophe Castaner quand il déclarait : « Chaque fois qu’une faute sera constatée, elle sera sanctionnée, mais elle doit être sanctionnée par un juge. Pas par l’opinion publique, pas par des vidéos dont on ne voit qu’une petite partie. Mais je voudrais quand même dire que les violences ne sont pas le fait des policiers ou des gendarmes. »
Plus sérieux que les bavardages de très nombreux éditorialistes, qui n’ont eu de cesse pendant des mois de nier, minimiser, justifier et couvrir les violences policières, en redoublant de violence médiatique.
Plus sérieux que le travail de nombreux médias [4] qui, jusqu’à ce jour, ne se sont pas bousculés pour donner de l’écho à cette nouvelle enquête vidéo. Sans prétendre à l’exhaustivité, c’est surtout du côté de la presse locale que l’on trouvera un relais : France 3 Nouvelle Aquitaine, La Charente Libre, France Bleu Nouvelle Aquitaine, deux articles dans Sud-Ouest, un dans Rue 89 Bordeaux. Au niveau national, on recense un article sur le site de CNews, un autre sur ceux des Inrocks et de 20 Minutes. Ailleurs, et hormis sans doute quelques mentions dans des journaux ou revues de presse (comme ce fut le cas pour celle de France Inter le 18 octobre), difficile de trouver une trace conséquente de l’enquête du Monde… (...)