
Deux exemples récents posent la question de l’exposition des mineur·es dans les médias d’information.
Elle a huit ans, des boucles blondes et un serre-tête avec des oreilles de chat. C’est une petite fille comme les autres, enfin presque. En septembre dernier, Lilie a fait le tour des plateaux et des émissions de télé avec sa mère pour délivrer un discours salvateur et émancipateur sur sa transidentité. Elle nous a ému·es, touché·es en ce qu’il nous a semblé qu’elle porte un message essentiel sur l’inclusion et la reconnaissance des personnes transgenres. Mais cette exposition médiatique peut aussi poser question : non seulement elle aura pu souffrir d’un traitement maladroit pour ne pas dire transphobe ou voyeuriste de son identité, comme ce fut le cas dans l’émission « Sept à Huit », mais aussi d’un tombereau d’insultes et d’injures sur les réseaux sociaux.
Plus récent, l’exemple de P.*. Au lendemain de l’assassinat de son professeur Samuel Paty, P. a livré, au micro du journaliste Clément Lanot, un hommage d’une grande maturité face à la barbarie. Il a, lui aussi, fait le tour des plateaux télé. Or malgré cette maturité apparente, P. n’a que 12 ans. De surcroît, c’est un enfant placé, au parcours difficile et qui souffre de troubles psychologiques. (...)
Ces deux exemples questionnent l’emballement médiatique autour de la parole des enfants ainsi que notre avidité d’adultes à entendre cette parole. Mais aussi les conséquences que cela peut avoir sur la vie actuelle et future de ces mineur·es, portés aux nues et érigés en symboles du vivre-ensemble. (...)
en érigeant P. en symbole, on l’a aussi transformé en cible. Lyes Louffok, travailleur social et membre du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), est l’un de ceux qui est très rapidement monté au créneau pour protéger P. : « P. est un enfant placé sous mesure de protection, cela ajoute au danger d’exposer ainsi un enfant, assure-t-il. Autant dire que j’ai engueulé les journalistes de l’avoir mis en avant comme cela –et notamment ceux de Libération qui lui ont accordé un portrait. Ils lui ont tous fait prendre un risque inconscient. Son numéro de téléphone a circulé, il a été extrêmement sollicité. J’ai dû le convaincre de refuser de participer à l’émission d’Hanouna… Il était dans une telle euphorie… »
Sans nul doute, le fait que des enfants témoignent à visage découvert sur des sujets ayant trait à leur propre identité et avec des éléments très intimes les met en danger et ce de plusieurs manières. « On vient de le priver de toute vie privée, constate amèrement Lyes Louffok au sujet de P. Il est devenu une cible potentielle, que ce soit de personnes malveillantes, de terroristes que des autres enfants. On a transposé des problématiques d’adultes dans la cour d’école. » (...)
Laurence Corroy va plus loin : « Ces enfants ainsi exposés sont en quelque sorte pris en otage, non seulement dans des combats qui ne sont pas encore de leur âge mais aussi d’assignation d’identités médiatiques dont ils vont avoir beaucoup de mal à se défaire. » Elle insiste aussi sur l’effet dévastateur des commentaires en ligne et du cyberharcèlement qui peuvent être d’une violence à laquelle personne n’est jamais totalement préparé. (...)
Le difficile retour à l’anonymat
D’autres dangers sont à souligner. D’abord, la retombée du buzz médiatique qui peut être difficile à gérer pour des enfants parfois en mal d’amour et de reconnaissance. (...)
« Explique-t-on vraiment à ces enfants que ce qu’ils disent aujourd’hui sera encore visible dans cinq ou dix ans ? » Laurence Corroy, professeure (...)
Ensuite, la quasi-impossibilité de respecter un droit à l’oubli pour ces enfants. (...)
« On ne pense pas aux conséquences à long terme, regrette Lyes Louffok. J’espère qu’il y aura autant de gens pour soutenir P. dans des mois et des années lorsqu’il en aura vraiment besoin. L’avenir des enfants placés n’est pas souvent rose et beaucoup se retrouvent à la rue une fois adultes… » (...)
« C’est important que les enfants puissent s’exprimer, explique Lyes Louffok. Mais leur parole doit être encadrée et leur identité protégée. Par exemple, privilégier la radio est une bonne idée. Dans tous les cas, il faut bien que les journalistes comprennent que d’une part, les intérêts des enfants peuvent diverger des intérêts des adultes et que, d’autre part, on n’interviewe pas un enfant de la même manière qu’un adulte. » (...)
En novembre 2008, à l’initiative de TF1, France Télévisions, Canal+ et M6, les groupes audiovisuels ont adopté une charte commune encadrant la participation des mineur·es aux émissions télévisées. Il semble aujourd’hui nécessaire non seulement de la relire, mais aussi de la mettre à jour : en prenant en compte la rapidité de l’information à l’heure actuelle, ainsi que la place prise par les réseaux sociaux et leurs enjeux.