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Jean-Marie Harribey, pour Alternatives Economiques
En mi mineur : Entendez-vous dans la campagne ?
Article mis en ligne le 2 mai 2012

La plupart des commentateurs de la campagne présidentielle ont dit qu’elle fut fade, inintéressante et ne posant pas les vrais problèmes. En particulier, il fut de bon ton de déplorer que l’écologie fut absente. Et tous les bien-pensants du productivisme ou de la relance de la croissance de rivaliser dans le versement de larmes de crocodile. Même parmi nos amis. Jusqu’à expliquer le faible score d’Eva Joly au premier tour par le fait qu’elle aurait peu porté le message de l’écologie. De même, l’emploi, le chômage, le travail, la répartition des revenus auraient été délaissés. Donc écologie et social auraient été abandonnés en rase… campagne. On a même entendu certains candidats de droite (notamment Sarkozy et Bayrou) accuser tous les candidats de gauche d’ignorer la crise, sans qu’aucun journaliste n’esquisse la question : « Quelle crise ? La vôtre ? Celle du système dont vous êtes l’apôtre et dont vous voulez assurer la pérennité ? »

Ces diagnostics sont faux et ils révèlent tous les impensés des auteurs de ces commentaires.

(...)est-ce une crise de l’extérieur du système qui régit le monde aujourd’hui ou une crise de ce système ? Politiques, comme économistes libéraux de droite et sociaux-libéraux, font donc comme si le chaos économique dans lequel le monde et l’Europe sont plongés n’avait rien à voir avec les transformations du capitalisme depuis quarante ans. Or, la crise socio-économique et la crise écologique se renforcent mutuellement. Mais, au-delà de cette jonction désastreuse pour l’humanité et pour la biosphère, elles n’existent pas dans la même temporalité : le moyen terme pour la crise de suraccumulation du capital et le très long terme pour la crise écologique. La crise financière qui a éclaté brutalement au grand jour en août 2007 n’a strictement rien à voir avec l’épuisement de la planète. Mais la dégradation salariale à l’oeuvre depuis plusieurs décennies a favorisé la financiarisation (...)

Et qui, lors de cette campagne soi-disant insipide, a mis l’accent sur l’imbrication de ces phénomènes ? Ceux qui ont eu tant de mal à trouver une place dans le broyeur médiatique : la Joly avec ses lunettes moquées parce qu’elles étaient alternativement couleur rouge et verte ; le Mélenchon que l’on a brocardé tour à tour comme populiste ou romantique révolutionnaire ; et le « petit » Poutou, « petit » suffisant à exprimer le mépris des experts qui, pendant tant d’années, assuraient que la crise était impossible puisque les marchés financiers s’équilibraient spontanément.

Les autres candidats ? Rien. Ou plutôt, soyons honnêtes, un quelque chose : rendons justice à François Hollande sur un point, car il a mis, à un moment de la campagne, la question de la fiscalité au centre du débat avec sa proposition de tranche supérieure de l’impôt sur le revenu à 75 % au-delà du million d’euros de revenu. (...)

En ce jour du 1er mai, on voit combien la rhétorique pétainiste sur le travail produit encore ses ravages. Au « travailler plus pour gagner plus » de 2007 s’ajoute maintenant le « vrai travail » de 2012. Le danger est le même : c’est le risque pour la gauche de déserter la question du travail et de l’abandonner aux paroles et gestes des représentants du capital. La défaite de 2007 était due en bonne partie à l’abandon d’« un regard positif sur le travail ». En 2012, le danger n’est pas écarté, ni pour le 6 mai, ni pour la suite.

Ceux qui disent n’avoir rien entendu dans cette campagne, comme ceux qui critiquent les réelles propositions liant le social et l’écologie sans les avoir réellement écoutées, devraient être plus prudents et psalmodier leurs litanies sur un mode mineur. La partition de La Marseillaise est généralement écrite dans la tonalité de sol majeur. La relative de sol majeur est mi mineur. C’est peut-être la tonalité requise pour bien entendre dans la campagne.

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