
Ils habitent en tente, en camion ou en caravane, par choix ou par manque de moyens. Certains sont habitués à l’isolement et ne se sentent pas à l’étroit. D’autres, privés de leur liberté, prennent leur mal en patience. Reporterre est allé à la rencontre de ceux qui vivent leur confinement à l’extérieur.
À l’orée du bois de Vincennes, l’avenue du Polygone (12e arrondissement de Paris) est calme. Le soleil matinal monte progressivement et réchauffe l’atmosphère de quelques degrés. Sur le bord de la route, une caravane blanche est garée depuis plusieurs mois [1]. Une tête surgit de la petite fenêtre pour s’exclamer « Reste par ici Cocker ! » Baptiste, 27 ans, surveille son chien. L’animal joue joyeusement avec une balle sur le trottoir, et malgré les douces températures de ce mois d’avril, son maître ne le rejoint pas. Confinement oblige, il reste dans son habitat.
« Sur l’avenue, on n’est plus que cinq [à vivre en caravane ou en camion], alors que d’habitude on est une trentaine, raconte Baptiste. Il y en a plein qui sont partis à l’annonce du confinement, en Bretagne par exemple. » Lui a préféré rester à Paris. Tous les jours, il sort faire ses courses, rend visite à son fils hospitalisé à trois kilomètres de là, puis revient dans sa caravane. Comme avant le confinement, finalement. « Je suis dans la rue depuis l’âge de treize ans et j’habite depuis presque toujours en caravane, explique-t-il. J’ai l’habitude d’être à l’intérieur, je ne me sens pas à l’étroit. Et je préfère être ici. En appartement, on ne peut pas faire ce qu’on veut. » (...)
De l’autre côté de la route, de la musique s’échappe d’une camionnette aménagée. La porte entrouverte, allongés à l’intérieur, Benjamin et Océane se reposent avec leurs deux chiens. « Moi qui ai des problèmes de sociabilité, je ne vis pas mal le confinement », dit Océane en rigolant doucement. Gwenaël est obligé d’aller à Emmaüs pour avoir un accès à Internet et aux informations. De temps en temps, il écoute la radio. « On est tous dans le flou, parfois il y a des arrêtés et on n’est pas au courant, déplore-t-il. Au début on nous disait qu’on n’avait pas besoin d’attestation puisqu’on n’avait pas de logement, et maintenant on nous dit que si. On apprend les choses avec du retard et on doit faire passer les infos d’un camp à l’autre. » À cela s’ajoute la peur de devoir partir, un jour ou l’autre. La semaine dernière, en allant chercher du bois de l’autre côté de la route, Gwenaël a été contrôlé par les forces de l’ordre. « Ils m’ont dit qu’on n’avait pas le droit d’être là, dit-il la voix teintée de colère. Il y a 300 personnes dans le bois, ils ne peuvent pas nous demander de nous en aller. On va aller où après ? » (...)
Malgré cet aspect positif, les journées sont longues et se ressemblent toutes. Il y a trois semaines, Benjamin a été placé en chômage partiel. Depuis, l’homme qui travaille dans la restauration ne quitte quasiment plus sa camionnette. « Pour s’occuper, on regarde des vidéos sur YouTube, on écoute de la musique, on boit du café, on fume des cigarettes, on s’occupe de nos deux toutous », énumère-t-il d’un ton las. Le couple sort une fois par jour promener les chiens dans le bois. Le reste du temps, les animaux jouent, détachés, sur le trottoir. « Ça va, on peut prendre un peu l’air, relativise Benjamin. Je plains ceux qui sont enfermés toute la journée en appartement. Mais on se limite, on ne se permet pas de rester dehors toute la journée. »
Le couple passe ses journées à attendre. Attendre la fin du confinement, la reprise du travail, la réouverture des services… (...)