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Basta !
En Pologne, un bras de fer s’engage pour sauver la dernière forêt primaire d’Europe de l’exploitation intensive
Article mis en ligne le 24 octobre 2017

A l’est de l’Europe, sur les territoires polonais et biélorusse, l’une des dernières forêts primaires du continent, classée au patrimoine de l’Humanité, s’étend sur plus de 140 000 hectares. Pour combien de temps encore ? L’année dernière, le gouvernement d’ultra-droite polonais a décidé d’ouvrir de larges zones de la forêt à l’abattage des arbres. Raison invoquée : elle est infestée par le bostryche, un coléoptère ravageur d’épicéas. S’agit-il d’un prétexte pour une exploitation économique de la forêt ? Sur place, des activistes venus de toute l’Europe ont engagé la lutte. Basta ! s’est rendu sur place.

(...) « Le problème n’est pas que l’économie locale tire des revenus de la découpe du bois. Le problème, c’est l’échelle et l’ampleur de l’abattage », précise Peter, un militant écologiste venu de Varsovie voir de ses propres yeux ce qui est en train de se jouer dans la grande forêt polonaise. Avec d’autres activistes de la capitale, il arpente les bois et les chemins de terre creusés par les roues des machines de coupe.

« Une région irremplaçable pour la conservation de la biodiversité »

Les membres du groupe sont choqués du nombre de troncs empilés. « Nous avons un gouvernement qui dit : "C’est notre territoire, notre pays, notre forêt. On en fait ce que l’on en veut". Alors que la forêt de Bialowieza ne concerne pas seulement la région et les localités alentours. Nous sommes au cœur d’un mouvement pour l’environnement dont la portée est globale », explique ce supporter du parti vert polonais Zieloni. (...)

Bialowieza abrite la plus grande population de bisons d’Europe, et au-delà, constitue un véritable trésor de biodiversité. La forêt « protège 59 espèces de mammifères, plus de 250 espèces d’oiseaux, 13 amphibiens, 7 reptiles et plus de 12 000 espèces d’invertébrés », note l’Unesco. Qui souligne aussi : « Bialowieza est une région irremplaçable pour la conservation de la biodiversité, en particulier du fait de ses dimensions, de son statut de protection, et de sa nature essentiellement non perturbée. » (...)

Le nouveau plan des gestions des forêts adopté par l’État polonais prévoit aussi d’effectuer des opérations de gestion forestière active dans des zones dans lesquelles toute intervention était jusque-là exclue, telles que les coupes sanitaires, le reboisement et les coupes de rajeunissement. C’est aussi la statut “naturel” de la forêt qui est en jeu.(...)

« Il a été dit qu’il fallait couper des arbres pour contrôler l’invasion du bostryche. Mais cet argument n’a rien à voir avec la réalité, estime Bogdan Jaroszewicz. Pour lutter efficacement contre le bostryche, les arbres infestés qui ont été coupés doivent être retirés immédiatement de la forêt, pour éviter qu’ils contaminent d’autres arbres. Or, ce n’est pas ce qui est fait. »

Condamnations par l’Unesco et la Cour européenne de Justice (...)

Début juillet, l’Unesco demandait à la Pologne de « maintenir la continuité et l’intégrité de la forêt ancienne protégée » et de « cesser immédiatement tout abattage et exploitation forestiers dans les forêts anciennes ». Puis, c’est la Commission européenne qui a prié l’État polonais de faire cesser les abattages dans Bialowieza. Et renvoyé le cas devant la Cour de justice de l’Union européenne. Celle-ci a ordonné à son tour, le 27 juillet, la fin des abattages, qui se font dans des zones protégées par le réseau Natura 2000. (...)

« La destruction de la forêt est liée à la destruction de l’ordre constitutionnel »

Le conflit entre institutions européennes et l’État polonais sur le cas de Bialowieza arrive dans un contexte politique bien particulier. La Pologne est gouvernée depuis fin 2015 par un gouvernement d’ultra-droite et aux accents autoritaires. Les conflits avec l’UE sur sur les dérives anti-démocratiques se sont multipliés depuis. (...)

« La destruction de la forêt est liée à la destruction de l’ordre constitutionnel qui est en cours en Pologne. Parce que cet abattage est illégal », dit Marcin Skubiszewski. L’homme d’une cinquantaine d’année n’est pas spécialement écologiste. Il se dit avant tout militant pour la démocratie, proche du KOD, le Comité pour la défense de la démocratie, mouvement créé en Pologne après l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice. (...)

Des activistes venus des quatre coins de l’Europe

Le groupe d’activistes a d’ailleurs trouvé, ici à Teremiski, des soutiens au sein de l’université populaire implantée dans le village depuis le début des années 2000. C’est là que le camp de défenseurs de la forêt devrait trouver refuge quand l’hiver arrivera. Le camp en place depuis mai est pour l’instant constitué d’une douzaine de tentes igloo plantées sur le terrain d’une ancienne ferme, et d’une cuisine aménagée sous un auvent. Les vivres, les affaires et les vélos sont entreposés dans les quelques bâtiments de brique du site.

Les règles d’organisation sont écrites en polonais et en anglais. Une dizaine de personnes s’y trouvent ce jour-là. Ils sont parfois jusqu’à 40. Il y a des jeunes Polonais, mais aussi des Italiens, arrivés la veille, et un couple d’Espagnols. « Il y a beaucoup de militants tchèques qui viennent, parce que quelque chose de similaire est en train de se passer là-bas, dans la forêt de Šumova, signale Michał, Varsovien de 24 ans. Nous avons aussi vu des Français, des Allemands, des Hollandais, même des Australiens ». Tous venus pour contribuer à défendre l’une des dernières grandes forêts primaires d’Europe. (...)

Les militants ont procédé à 17 blocages depuis mai. « Il y a déjà eu deux procès d’activistes suite aux blocages. Un en août et un le 21 septembre, signale Michał. « Ce sont des procès pour trouble à l’ordre public. Au dernier, neuf personnes étaient accusées. Nous nous défendons en disant que la loi est de notre côté. Parce que les abattages se font en violation des lois sur l’environnement. Ils sont illégaux. En bloquant les machines, nous empêchons le droit d’être violé. » (...)

« Certains journaux nous appellent parfois des "éco-terroristes" ou des "pseudo-écologistes", nous dit Michał, assis sur une souche posée autour d’un reste de feu de camp. La population locale est divisée. Mais l’attitude des gens a changé, parce qu’ils nous ont vus. Ils ont vu qui nous étions, que nous étions des personnes normales. Et aussi, parce que les coupes sont si étendues que le tourisme a commencé à en pâtir. »