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En Martinique, des solutions agricoles émergent pour éliminer le chlordécone
Article mis en ligne le 19 novembre 2021
dernière modification le 18 novembre 2021

la richesse des sols volcaniques combinée à une forte pluviométrie et à la chaleur — certes plus modérée que dans les plaines — profitent à l’agriculture. Cette luxuriance masque une tragique réalité : en 2015, 10 000 hectares apparaissaient contaminés au chlordécone sur les 25 000 hectares de surface agricole utile que compte la Martinique

Pesticide organochloré, le chlordécone a été autorisé sur les territoires français à partir de 1972 et utilisé à grande échelle jusqu’en 1993 dans les bananeraies antillaises pour lutter contre le charançon. Il était pourtant interdit en France depuis 1989. La culture de la banane et de la canne à sucre occupent aujourd’hui la majorité du foncier agricole de la Martinique. Des monocultures intensives qui, en plus d’entraver l’autosuffisance alimentaire de l’île, ont pollué durablement les sols. Il faudra environ sept cents ans pour que la molécule de ce pesticide organochloré disparaisse, si rien n’est fait. (...)

Plus de 90 % des Guadeloupéens et Martiniquais contaminés

Si les ouvriers agricoles qui ont épandu manuellement Képone et Curlone (ses noms commerciaux), sans contrôle des dosages, sont les premières victimes de ce produit cancérogène et perturbateur endocrinien, plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais sont contaminés (...)
record mondial du cancer de la prostate, avec près de 230 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année.

Depuis le début des années 2000, pour être mises sur le marché, les denrées alimentaires végétales ou animales doivent présenter des contaminations inférieures ou égales à 20 microgrammes par kilogramme. L’alimentation est en effet la principale voie de contamination de la population. D’aucuns parlent d’un « empoisonnement toléré », considérant qu’il faudrait plutôt viser le zéro chlordécone. Mais puisque les Martiniquais ne peuvent se contenter de cultiver seulement les terres non-polluées, il leur faut développer des solutions pour produire une nourriture saine en terres contaminées. (...)

À Sainte-Cécile, à l’entrée du Morne-Rouge, François de Meillac a acquis en 2006 des terres qui avaient jadis servi à la culture de la banane. Si la concentration du chlordécone y diffère selon les parcelles, la molécule est omniprésente. Pour s’en affranchir, il développe la culture hors-sol, qui est aujourd’hui la solution technique souvent employée pour les cultures de tomates. Sont nées deux entreprises : Floral et Les Jardiniers du Nord. (...)

Parmi les 2 500 m2 de serres partagées avec l’horticulture, Les Jardiniers du Nord produisent essentiellement des tomates hors-sol dans un substrat composé de fibres de coco. La concentration en chlordécone n’atteint pas les fruits — sauf s’ils sont en contact avec le sol — car la molécule, lourde, ne remonte pas dans la sève. (...)

Depuis son arrivée, savon noir, huiles essentielles et plantes répulsives ont remplacé les pesticides chimiques aux Jardiniers du Nord. Des hauts-parleurs accrochés en haut des serres diffusent deux à trois fois par jour, à heure précise, des protéodies. « Ce sont des mélodies spécifiques qui vont inhiber la protéine de certains organismes », dit-il. Distribuées sur le marché local de la grande distribution, les tomates sont estampillées « zéro chlordécone » (label créé en 2018) et ont le label haute valeur environnementale (HVE). (...)

La transformation du modèle agricole ne se fait pas seulement à l’intérieur des serres. Celui qui n’est désormais plus un néo-agriculteur s’évertue à reconstituer un écosystème autour de ses terres en plantant dachines, passiflores et fruitiers pour rompre avec la tradition hygiéniste de désert sanitaire et faire revivre les sols. À terme, Arnaud de Meillac vise un retour en pleine terre mais sous abri.
L’agroforesterie pour dépolluer progressivement les sols (...)

« Nous avons aussi développé des “biols” de micro-organismes forestiers à la diversité incroyable, puisés dans la forêt voisine. Nous espérions, en les inoculant dans le sol, qu’une de ces nombreuses souches casse la molécule du chlordécone et règle ainsi le problème de pollution pour nous et pour le reste des terres contaminées », résume l’agriculteur. Mais l’expérience n’a pas entièrement porté ses fruits : la molécule est toujours présente. (...)

À l’échec agronomique s’ajoute l’échec financier. Si les sols avaient été dépollués, le Jardin de la forêt aurait pu produire en trois à six mois des légumes racines (patates douces, ignames, manioc…), le temps que tous les fruitiers plantés sur la parcelle test, et qui donnent après trois à six ans, puissent prendre le relais. Mais ces légumes racines poussent dans la terre et sont donc très sensibles au chlordécone. (...)

L’expérience a tout de même démontré qu’en plantant diverses espèces d’arbres, Arnaud de Meillac et ses employés avaient mis en place le meilleur potentiel de décontamination naturelle et de refertilisation progressive des sols. Car si la molécule est toujours détectée dans les analyses de sol, sa concentration est plus faible qu’avant (...)

Il a décidé d’appliquer ce modèle d’agroforesterie aux autres parcelles du Jardin de la forêt. Les analyses effectuées régulièrement, à sa charge, n’ont jamais détecté de traces de chlordécone dans ses fruits et légumes. (...)