
169 000 familles italiennes ont été informées par SMS fin juillet de la suppression de leur revenu de citoyenneté. Cette réforme veut économiser trois milliards d’euros en excluant les personnes « employables ». Une mesure qui n’est pas sans rappeler celles mises en œuvre de ce côté-ci des Alpes.
Le 27 juillet, ces 169 000 familles italiennes ont donc touché les derniers montants de ce revenu. Pour une partie d’entre elles, il sera possible de demander une prolongation jusqu’en décembre, à condition de prouver un « fort état de détresse sociale ». Pour cela, il faudra cependant se tourner vers les services sociaux municipaux, lesquels sont déjà débordés par les demandes et par l’absence de transmission de données de la part de l’INPS. (...)
Mais pour au moins 88 000 ménages composés de personnes jugées « en état de travailler », il ne sera plus possible de toucher cette aide. Ils devront alors se tourner vers le « soutien à la formation » qui permettra de toucher 350 euros mensuels pendant douze mois, à condition « d’être actif dans des projets utiles à la collectivité » ou dans des projets de formation professionnelle. Pour une personne seule, le revenu de citoyenneté permettait de toucher 500 euros par mois. Et là encore, le site sur lequel il est nécessaire de faire sa demande n’est pas disponible et ne le sera pas avant le 1er septembre.
Dans tous les cas, le 1er janvier 2024, le revenu de citoyenneté aura cessé d’exister et sera remplacé par une « allocation d’inclusion » qui sera beaucoup plus difficile à obtenir et ne concernera plus les personnes considérées comme « employables ».
Une promesse de campagne de l’extrême droite (...)
Fratelli d’Italia a, lors des élections de 2022, absorbé une grande partie des électeurs de droite italiens sur un discours décomplexé concernant les bénéficiaires des aides sociales. Le terme utilisé pour discréditer ces derniers était « divanisti », littéralement ceux qui passent leur temps sur le divan en profitant des aides sociales. L’idée était alors de « remettre l’Italie au travail », une vieille antienne de la droite.
La présence de la Ligue dans la coalition n’a guère modifié la donne, d’abord parce que le parti de Matteo Salvini est sorti très affaibli des élections, ensuite parce qu’il n’a accepté le revenu de citoyenneté en 2019 que comme un élément de négociation avec le Mouvement 5 Étoiles (M5S), son allié d’alors.
Au reste, Matteo Salvini a défendu la suppression sans ambiguïté (...)
Fratelli d’Italia a, lors des élections de 2022, absorbé une grande partie des électeurs de droite italiens sur un discours décomplexé concernant les bénéficiaires des aides sociales. Le terme utilisé pour discréditer ces derniers était « divanisti », littéralement ceux qui passent leur temps sur le divan en profitant des aides sociales. L’idée était alors de « remettre l’Italie au travail », une vieille antienne de la droite.
La présence de la Ligue dans la coalition n’a guère modifié la donne, d’abord parce que le parti de Matteo Salvini est sorti très affaibli des élections, ensuite parce qu’il n’a accepté le revenu de citoyenneté en 2019 que comme un élément de négociation avec le Mouvement 5 Étoiles (M5S), son allié d’alors.
Au reste, Matteo Salvini a défendu la suppression sans ambiguïté (...)
La décision est d’autant plus violente que le revenu de citoyenneté était une mesure déjà conditionnelle, en théorie limitée à dix-huit mois, très éloignée du projet initial du M5S qui visait plutôt une forme de revenu universel de base, et qui s’inspirait davantage des mesures allemandes des réformes Hartz que du RSA français. Bref, c’est un recul très prononcé. (...)
Les récipiendaires du revenu de citoyenneté touchés par la mesure sont sous le choc après la réception sèche du SMS fatal. (...)
Pour certains, cette annonce a provoqué un vrai désespoir.
Ainsi, à Terrasini, dans la province de Palerme, un sexagénaire au chômage qui avait reçu le fameux SMS a fait irruption dans les locaux de la mairie avec un bidon d’essence et a menacé de « tout brûler ». À Naples, une manifestation s’est organisée pour défendre le revenu de citoyenneté et s’est regroupée devant les locaux du parti de Giorgia Meloni. Le sud de l’Italie, frappé par la misère, avait beaucoup bénéficié de la mesure. Près d’un bénéficiaire destinataire du SMS de suppression sur cinq est sicilien. (...)
Au Parlement, la violence de l’envoi du message et la désorganisation complète des services sociaux pour gérer la transition ont provoqué des contre-offensives de l’opposition.
Les attaques les plus fortes sont logiquement venues du M5S. Le chef de file du parti, Giuseppe Conte, président du Conseil qui a instauré le revenu de citoyenneté, a dénoncé avec force les mesures du gouvernement. (...)
De son côté, le Parti démocrate (PD) de centre-gauche a trouvé une position ferme et compacte sur le sujet pour s’opposer à la fin du revenu de citoyenneté. (...)
Le PD a particulièrement insisté sur l’impréparation du gouvernement qui met les citoyens face à un risque de pauvreté extrême. Là encore à l’unisson avec Giuseppe Conte qui a lancé au gouvernement : « Les fainéants [« divanisti »], c’est vous ! »
Pour tenter d’appuyer sur la politique de répression sociale de la majorité, Elly Schlein a décidé d’ouvrir un nouveau front qui n’est pas sans rapport avec le revenu de citoyenneté. Le Parti démocrate a ainsi déposé une proposition de loi pour introduire un salaire minimum dans le pays. L’Italie est en effet un des rares pays européens à n’avoir aucun salaire minimum unique. Cela met en danger les exclus du revenu de citoyenneté, qui pourraient être contraints d’accepter des salaires de misère.
Le dirigeant de la Confédération générale italienne du travail (CGIL), un des principaux syndicats du pays, Maurizio Landini, a ainsi mis en garde contre la suppression d’un revenu minimum « dans un pays où il y a des pauvres qui travaillent ». C’est ce débat que voulait ouvrir Elly Schlein, même si le salaire minimum n’a aucune chance d’être adopté par une majorité très largement à droite. Mais ce qui était ici important était l’ouverture d’un débat et son articulation avec la suppression du revenu de citoyenneté.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la majorité (avec l’appui du groupe de Matteo Renzi) a repoussé, le 2 août, de soixante jours la discussion sur la proposition du PD. L’occasion n’a pas été manquée par Elly Schlein de fustiger la politique sociale de Giorgia Meloni : « La majorité fuit, mais malheureusement pour vous, on ne peut pas fuir la réalité, on ne peut pas s’échapper des trois millions et demi de travailleurs qui sont pauvres même s’ils travaillent. » Et de conclure : « La pauvreté ne va pas en vacances. » Pour l’occasion, le PD s’est encore retrouvé allié au M5S qui a parlé de « honte » quant à ce renvoi. (...)
Une politique sociale violente
Ce qui frappe avec la politique sociale de Giorgia Meloni, c’est sa proximité avec la politique française. De ce côté-ci des Alpes, la logique dominante de la politique sociale est aussi de mettre la pression sur les demandeurs d’emploi, les plus pauvres ou les travailleurs âgés avec trois réformes : celle de l’assurance-chômage et des retraites, ainsi que le projet concernant l’obligation de travail pour les titulaires du RSA.
Dans les deux cas, la logique est strictement la même : il s’agit de mettre une pression supplémentaire sur les plus fragiles pour les contraindre à accepter les emplois que le marché propose, quelles que soient leurs conditions. (...)
Le gouvernement Meloni cherche donc à poursuivre la politique néolibérale qui fonde la faible croissance italienne sur la modération salariale. Mais cela a des conséquences terribles pour la population. (...)
La décision d’en finir avec le revenu de citoyenneté pose désormais un défi à l’opposition. Le PD et le M5S pourraient y voir une occasion de construire une position commune et de s’appuyer sur le rejet de cette réforme, notamment au sud de l’Italie, pour construire une alternative politique à une extrême droite aujourd’hui hégémonique. C’est ce qui se dessine au Parlement ces jours-ci, mais il n’est pas certain que cette stratégie puisse durer dans un pays qui vote aujourd’hui très largement à droite.