À la tête de Nogaam e-Publishing, maison d’édition qu’elle a fondée à Londres en décembre 2012, Azadeh Parsapour est originaire d’Iran. Elle a reçu en septembre dernier le Jeri Laber Award. Cette récompense émanant de l’Association of American Publishers encourage à la liberté de publication.
Dans un long billet, l’éditrice revient sur la relation entre la lecture et le plaisir du livre en Iran. Du 15 au 22 novembre dernier s’ouvrait en effet la semaine nationale du livre dans le pays. Avec pour thématique La grande joie de lire, cet événement est le deuxième plus important dans le pays, après la foire internationale du livre de Téhéran.
Sauf que... « Il s’est passé quelque chose d’autre en novembre, qui pourrait soustraire la joie de lire aux Iraniens, dans un avenir proche, et pousser l’industrie de l’édition au bord de la faillite », explique-t-elle.
Donald Trump a encore frappé
Les États-Unis ont en effet instauré de nouvelles sanctions, précédemment levées. Elles imposent des restrictions sur l’achat de dollars par l’Iran, sur le commerce de l’or et d’autres métaux précieux, mais également la vente à l’Iran de pièces automobiles, d’avions commerciaux et des services liés. Elles frappent aussi les produits pétroliers et pétrochimiques en provenance d’Iran.
Début mai, Donald Trump avait déjà officiellement annoncé le retrait du plan d’action global commun, l’accord sur le nucléaire conclu avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. Et la monnaie locale a rapidement dévissé.
À l’hiver dernier, le taux de change entre dollar et rial iranien était de 1 pour 40.000. Il est désormais passé à 1 pour 120.000 : une inflation colossale que le gouvernement est tout de même parvenu à maîtriser, tant bien que mal. Mais cette hausse se poursuit, et touche tous les secteurs économiques. (...)
« Les éditeurs n’ont pas fait exception. Même avant ce chaos politique et économique, le tirage moyen d’un livre en Iran n’était que de 1000 exemplaires, manuels scolaires exclus », poursuit l’éditrice. « La hausse de l’inflation entraîne l’augmentation des salaires et des facturations, mais surtout, la flambée des prix du papier porte l’industrie sur une voie difficile et douloureuse. »
Des tirages en berne, un pays en deuil
Le papier importé représente la quasi-totalité de ce que l’industrie de l’édition et de la presse utilise. Malgré les subventions accordées par le gouvernement, il devient difficile de maintenir le tarif à un prix accessible. (...)
Si les journaux ont augmenté leur prix de vente, deux d’entre eux ont cessé de paraître. Les éditeurs envisagent de réduire leur tirage, pour passer autour de 400 à 500 exemplaires, ou d’augmenter le prix de vente. (...)
« 400 exemplaires d’un livre destiné à un pays de 80 millions d’habitants rendent le slogan “La grande joie de lire” absurde. Une ombre d’incertitude s’est répandue sur le secteur de l’édition en Iran, parmi de nombreuses autres entreprises. »
Et l’éditrice de conclure : « Je me demande quel serait le slogan de l’année prochaine. Personnellement, j’opte pour “La joie de survivre”. » Les relations avec l’Europe pourraient apporter quelques solutions.