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En Inde, après plus de 100 jours, les agriculteurs poursuivent leurs protestations
Article mis en ligne le 17 avril 2021
dernière modification le 16 avril 2021

Après avoir secoué le nord de l’Inde, la grève générale a été l’occasion pour les paysanEs du sud de passer à l’action. Ils ont répondu à l’appel du Samyukt Kisan Morcha au Bharat Bandh (grève générale) le 26 mars 2021 avec beaucoup d’enthousiasme et en organisant des fausses processions funéraires pour les trois lois agricoles adoptées de force par le gouvernement indien.

Mobilisations multiples malgré la répression

Auparavant, l’organisation des paysanEs du Karnataka avait lancé des appels à manifester pour dénoncer la loi sur l’accord de la garantie des prix et les services agricoles, la loi sur la promotion et la facilitation du commerce des produits agricoles et la modification de la loi sur les produits essentiels. Tenant leurs promesses, les paysanEs, accompagnés de syndicalistes solidaires, ont défilé dans les rues des districts de Mysore et de Gulbarga. Ils et elles exigeaient le retrait immédiat des lois ainsi qu’une garantie légale du prix de soutien minimum (MSP). Certains manifestants marchaient dans les rues, torse nu, pour mettre en garde contre les effets à long terme de ces lois sur leurs moyens de subsistance.

Dans l’Andhra Pradesh, les partis politiques ont également exprimé leur solidarité avec la grève. Des images de l’arrêt complet des activités dans certaines régions ont circulé sur les médias sociaux. Les travailleurEs du port maritime de Kakinada ont également manifesté avec des bannières. Pendant ce temps, les étudiantEs et les partisanEs de la lutte des paysanEs, qui avaient déjà exprimé leur solidarité avec la grève, ont organisé des manifestations pacifiques et des marches près de l’université du Pendjab, à Chandigarh. La grève a également été observée dans d’autres régions du pays.

Alors que l’on s’attendait à des arrestations dans des régions où les manifestations étaient dynamiques, comme Bengaluru, les paysanEs ont été furieux d’apprendre l’arrestation du secrétaire général de la Bharatiya Kisan Union (syndicat agricole indien), Yudhvir Singh, à Ahmedabad, dans le Gujarat, lors d’une conférence de presse en direct. En janvier, la Cour suprême avait confirmé le droit des paysanEs à manifester et à exprimer leur désaccord. Pourtant, tant les paysanEs qui manifestaient à Bengaluru que les dirigeants qui intervenaient lors d’une conférence de presse ont été arrêtés par la police.

Auparavant, les paysanEs avaient marché pendant des kilomètres, déterminés à faire entendre les « sourdes oreilles » (...)

Le mouvement et ses impacts

Le mouvement des paysanEs a modifié de nombreuses équations sociales. Une grande partie des paysanEs dans les États du nord de l’Inde (Haryana, Uttar Pradesh, Rajasthan et Punjab) estiment avoir fait une grosse erreur en votant pour le BJP [parti au pouvoir, dirigé par Modi]. Cependant, ce qui est le plus remarquable chez les participantEs, c’est qu’ils et elles ont surmonté des obstacles physiques et psychologiques pour prendre part à la marche. Neelam Rani Badhoan, une travailleuse du NREGA (une loi en Inde qui vise à offrir 100 jours de travail par an — non-qualifié, rémunéré au salaire minimum — aux individus volontaires d’un ménage pauvre en zone rurale), a montré un bandage sur les ampoules de ses pieds, usés par la marche sous le soleil. Elle a quand même choisi de marcher : « Maintenant, je n’ai pas un quota complet de travail dans le cadre du NREGA. Par conséquent, je dois travailler dans des fermes en tant qu’ouvrière agricole. Comment vais-je gagner de l’argent si les fermes sont données aux entreprises privées ? » a-t-elle demandé.

Pyara Singh Lasada, septuagénaire, a défilé aux côtés de son petit-fils, bien qu’il ait aidé sa femme à guérir d’une tumeur au cerveau il y a quelques jours. « Lorsque le Samyukta Kisan Morcha a donné l’appel à rejoindre le Jantar Mantar le 26 novembre dernier, ma famille et moi étions là. La police nous avait retenus dans un stade avant de nous relâcher. Puis nous nous sommes déplacés à Singhu Border, près de Delhi. Après avoir passé un mois là-bas, ma femme s’est plainte d’un mal de tête. Après examen, les médecins nous ont dit qu’elle avait une tumeur au cerveau qui affecterait progressivement sa parole. Elle en a été guérie mais a perdu la parole... Pourquoi est-ce que je défile ? C’est parce que l’humanité est plus grande que la famille. Mais oui, je me bats pour mes enfants et leur avenir ».

Les manifestations paysannes actuelles contre les projets de loi sur l’agriculture ont récemment achevé 100 jours de lutte. Saluées comme l’un des plus grands mouvements populaires contre le régime à l’époque contemporaine, les manifestations sont au centre du discours public depuis un certain temps. Et ce, à juste titre. (...)

L’attention suscitée au niveau international contribuera, nous l’espérons, à façonner un avenir meilleur pour les agriculteurEs et leur lutte continuera d’inspirer les générations à venir. Elle a également mobilisé les petits agriculteurs et les agriculteurs marginalisés pour qu’ils fassent entendre leur voix. Les petits agriculteurs marginalisés des zones rurales, des communautés tribales, des régions aux conditions climatiques extrêmement fragiles, etc. ne sont toujours pas entendus. Il est donc du devoir du gouvernement et de notre collectivité de les entendre, d’entendre leur détresse et d’attirer l’attention sur eux.