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Mediapart
En Corse, la colère s’enracine
Article mis en ligne le 14 mars 2022

Malgré les récentes annonces du gouvernement, des milliers de personnes ont défilé à Bastia en scandant « Statu francese assassinu » (« État français assassin »). Des affrontements violents ont conclu la manifestation. Gérald Darmanin est attendu sur place en milieu de semaine.

Bastia (Corse).– Le cortège est arrivé devant la préfecture depuis un quart d’heure lorsque les premières bombes lacrymogènes commencent à saturer l’air. De nombreuses personnes refluent par les rues adjacentes, croisant des jeunes munis de cagoules et de masques anti-gaz, qui remontent en sens inverse sous les applaudissements. Plus loin, un petit groupe rassemble des poubelles pour y mettre le feu, sous le regard de manifestants qui se tiennent à distance, mais les encouragent. (...)
Des bombes artisanales explosent. Des pavés et des cocktails Molotov, souvent fabriqués avec des bouteilles d’Orezza, sont lancés en direction des policiers. La manifestation organisée à Bastia, dimanche 13 mars, à l’appel des syndicats étudiants de l’Université de Corse et des partis nationalistes, se conclut en fin de journée sur de violents affrontements. Selon le dernier bilan de la préfecture, 67 personnes ont été blessées, dont 44 membres des forces de l’ordre.
À quelques encablures de la préfecture, devant laquelle un homme tente vainement d’arracher l’écusson RF (République française) accroché à la grille, les pompiers s’affairent pour éteindre l’incendie qui vient d’être allumé à l’intérieur de la direction départementale des finances publiques. Devant le bâtiment, le sol est jonché de dossiers. Partout résonne le même slogan, entendu tout au long de l’après-midi : « Statu francese assassinu » (« État français assassin »). (...)
Deux jours après l’annonce de la levée du statut de DPS (détenu particulièrement signalé) pour Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, tous deux condamnés pour l’assassinat du préfet Claude Érignac en février 1998, la colère ne s’essouffle pas. Au contraire, elle était dimanche encore plus vive que celle observée la semaine passée à Corte, lors d’une première manifestation déjà massive, en soutien à Yvan Colonna.
Depuis une semaine, le plus célèbre des membres du « commando Érignac », lui aussi condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, est entre la vie et la mort. Il avait été violemment agressé le 2 mars par un autre détenu de la prison d’Arles (Bouches-du-Rhône), vétéran du djihad afghan, qui a reconnu les faits en garde à vue et a été mis en examen pour « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » (...)
« Les dirigeants nationalistes ont tout tenté par la voie démocratique, maintenant on a pris le relais dans la rue. » Rachel Reggeti Giudicelli, présidente de Ghjuventu Indipendentista (...)
Jean-Guy Talamoni estime qu’il est temps de « construire une alternative de lutte », laquelle devra remplacer ce qu’il qualifie de « démarche de soumission sur toutes les questions ». « Plus ils reculent, plus l’État les méprise », déplore-t-il, visant « la majorité de la majorité » dont il a été écarté en juin 2021. Et la stratégie adoptée par son chef de file Gilles Simeoni. (...)
Le président autonomiste du conseil exécutif de Corse était lui aussi présent dimanche à Bastia, où il fermait la marche entouré de ses proches. À l’issue de la manifestation, il évoquait une mobilisation allant « crescendo » et des « tensions croissantes ». « Il faut que le gouvernement et l’État posent un acte politique fort », confiait-il à Mediapart, considérant encore que Paris n’avait vraiment pas pris la mesure de ce qui est en train de se passer sur l’île.
En l’espace d’une semaine, les revendications se sont élargies, faisant passer la question du statut de DPS au second plan. « On ne dort plus depuis le 3 mars, assure Laetitia, qui a fait quatre heures de route pour rejoindre le cortège. On est tous unis pour faire face à un État jacobin qui refuse d’accepter la démocratie. » Cette professeure âgée de 35 ans souhaite l’ouverture rapide d’un dialogue sur l’évolution institutionnelle de la Corse. Elle est fatiguée du « mépris de l’État » : « On nie clairement notre existence. » (...)
Comme beaucoup d’autres personnes croisées à Bastia, Laetitia regrette que le gouvernement n’ait pas pris en compte les demandes de la majorité au pouvoir depuis sept ans, au premier rang desquelles le rapprochement des « prisonniers politiques » – expression réfutée par l’État. « Ce n’est ni une prétention ni un caprice politique, c’est le droit », dit-elle, en condamnant les violences – « un piège qui nous est tendu » –, mais en soutenant « à 100 % » le slogan « Statu francese assassinu ». (...)
« On va vous montrer ce que c’est des Corses », a aussi entendu un journaliste de Corse-Matin. Sur un mur, un cercueil a été tagué, accompagné du mot « Français ».
Dimanche soir, personne n’était en mesure d’anticiper la suite des événements. À peine savait-on qu’une réunion du collectif récemment créé par les syndicats étudiants, les quatre partis nationalistes, l’Université de Corse et plusieurs autres associations, était prévue dans les prochains jours. À Paris comme sur l’île, les réactions politiques ont été très discrètes, comme si la mobilisation actuelle échappait à tous ceux censés se retrouver bientôt pour renouer le dialogue.