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En Bretagne, un éleveur de cochons persécuté par l’agro-industrie
Article mis en ligne le 7 juillet 2022

Dans une Bretagne marquée par l’élevage intensif, Antoine Raoul et ses quatre-vingts cochons élevés en plein air dérangent. Les agro-industriels assurent craindre la peste porcine africaine et multiplient les plaintes.

Il y a quelque chose du village d’Astérix dans cette histoire. Dans les Côtes-d’Armor, cernés par des fermes porcines d’au minimum 500 têtes, Antoine Raoul et ses quatre-vingts animaux détonnent. Deux visions de l’agriculture ne cohabitent plus et le paysan de 63 ans est accablé par les affaires et les menaces. Sept procédures judiciaires en comptant les appels, des milliers d’euros d’amende, une condamnation à quatre mois de prison avec sursis, des bêtes abattues par les autorités, plusieurs passages à la gendarmerie de Plouaret — ainsi qu’à l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage qui a fusionné avec l’Agence française pour la biodiversité) — ont plongé l’éleveur dans une grande précarité financière et mis une dure pression sur lui et sa famille. Ce qu’on lui reproche ? Ses cochons élevés en plein air intégral pourraient diffuser la peste porcine, selon les gros exploitants du coin. Une accusation qu’il récuse.

Il nous reçoit chez lui, entouré de sa famille et parle avec une grande sensibilité de ses animaux, qui se nourrissent de ce qu’ils trouvent sur les 32 hectares de la ferme — avec un complément de céréales bio et des sous-produits d’une fromagerie voisine. (...)

« Plusieurs choses lui sont reprochées, notamment la divagation, quelques destructions imputées à ses bêtes, et l’hybridation », nous explique Maître Jérôme Bouquet-Elkaim, son avocat. De décembre 2019 jusqu’à une condamnation en avril 2022, l’éleveur a été se défendre plusieurs fois aux tribunaux de Guingamp et de Rennes, avec notamment deux épisodes qui montrent que ce qui se joue à Lanvellec dépasse la querelle d’agriculteurs. (...)

Deuxième épisode de l’histoire : une battue administrative « de destruction à tir d’animaux en divagation de type porcs et sangliers hybrides » autorisée par le préfet des Côtes-d’Armor, à la suite de cette même plainte du voisin. Motif : « les risques » que feraient peser ces cochons « en termes de sécurité publique » et de « dégâts agricoles importants en raison de leur divagation ». (...)

L’éleveur est allé voir le maire de Lanvellec pour lui demander de venir sur place, ce qu’il a refusé. (...)

« J’ai découvert à 59 ans les violences policières et j’ai eu l’impression de tomber dans un gouffre », décrit-il. « Je leur ai dit que la prochaine fois qu’on viendrait tuer mes cochons, il faudrait me tuer d’abord. »
La peste porcine comme épouvantail (...)

Si Antoine Raoul et ses quatre-vingts bêtes « mettent toute la filière d’un pays en danger » comme le prétend Thierry Marchal, c’est parce que ces animaux en plein air, parfois au contact de sangliers, représenteraient une menace sanitaire pour ses voisins éleveurs industriels : la peste porcine africaine. La France est pour l’instant préservée de cette maladie sans danger pour les humains mais mortelle pour les porcs et sangliers. Considérés comme davantage à risques, les élevages les plus contrôlés sont ceux en plein air, au nom de ce qu’on appelle la biosécurité. (...)

Si un cas était détecté en France, le même principe de précaution qu’avec la grippe aviaire serait appliqué : l’abattage de tous les porcs dans un rayon de plusieurs kilomètres. « Si la peste porcine est détectée en France, le commerce du porc va s’effondrer. Pour les éleveurs, les indemnités de l’État ne suffiront pas », prévient Thierry Marchal, éleveur à Sizun (29), secrétaire de la FDSEA 29 et producteur de 15 000 porcs par an. « Si la peste porcine arrive jusqu’à mon élevage, c’est que la maladie aura déjà traversé la France », se défend Antoine Raoul.

L’élevage en plein air semble donc déranger un système agro-industriel qui aimerait fermer l’exploitation de M. Raoul. Dernier épisode en date : un énième échange avec les gendarmes pour lui dire qu’ils espéraient ne pas revenir chez lui pour constater son suicide. Sans oublier un article de Ouest France du 25 mai qui publie son nom et liste ses condamnations. L’éleveur y apprend également que son pourvoi en cassation n’avait rien donné. À la suite de cela, il a rédigé un droit de réponse au quotidien pour se défendre, en vain. (...)

En acculant financièrement et moralement Antoine Raoul, l’agro-industrie du porc breton use de méthodes bien éloignées de l’image qu’elle tente de se donner. (...)

Pour cet article, ni la FDSEA 22 ni la mairie de Lanvellec n’a donné suite à nos sollicitations.