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En Allemagne, une ZAD face au lignite ennemi
Article mis en ligne le 11 mai 2018

Dans une forêt rhénane se trouve l’une des plus grandes « zones à défendre » d’Europe. Elle s’oppose à une mine de charbon, denrée prisée depuis que Berlin veut sortir du nucléaire.

« Brûlez les frontières, pas le charbon ! » « Hambi reste là ! » A la gare de Buir, à cinquante kilomètres de Cologne, le regard se pose sur des tags militants. Des occupants de Hambach nous attendent sur le quai. On marche le long de la nationale, d’un bon pas - la forêt est à deux gros kilomètres. Cela fait six ans que ça dure. Six ans que « Hambi reste là ». Depuis 2012, cette forêt de chênes et de charmes vieille de 12 000 ans est occupée par des écologistes. Ils protestent contre le conglomérat d’énergie RWE, qui exploite du lignite dans l’immense mine à ciel ouvert jouxtant la forêt. L’histoire est tragiquement simple. Pour produire de l’électricité, il faut du charbon. Et pour extraire le charbon, il faut couper les arbres et déplacer des villages. Alors les écologistes et les paysans ont protesté. Ils ont afflué, se sont réunis, ont construit des cabanes dans les bois. En cinq ans, ils en ont fait l’une des plus grandes « zone à défendre » (ZAD) d’Europe. Au commencement, il y avait une dizaine de cabanes dans les arbres. On en compte 42 aujourd’hui. (...)

La communauté vit encerclée par la mine - surnommée Mordor, en référence au Seigneur des anneaux. A l’entrée de la forêt, un bâtiment vert pimpant accueille le visiteur. C’est un centre d’orientation, destiné à le guider dans les multiples quartiers que compte « Hambi » (...)

Link parle de « convergence des luttes ». On est antiraciste, anticapitaliste, pro-réfugiés, féministe, végan, LGBTI. On aime le punk et l’anarchie. On met en pratique tous les jours un mode de vie alternatif. Des couples se forment, et il n’est pas rare qu’ils pratiquent le polyamour ; en outre, personne ne veut se sentir assigné à un genre. Ainsi de Fancy, un barbu aux cheveux ébène et au look mi-bûcheron mi-Manu Chao, à qui l’on s’adresse en disant « elle ». Les points de vue semblent diverger sur une seule question : l’utilisation de la violence. (...)

Les occupants de la forêt souffrent d’une image négative dans les médias. En première ligne, le groupe de presse conservateur Axel Springer, qui possède le quotidien Die Welt et le tabloïd Bild. Cette presse se distingue par son hostilité à l’égard de ce genre de mouvements - il y a cinquante ans, elle multipliait les textes violents à l’égard des soixante-huitards de Berlin-Ouest, puis elle s’est attaquée aux membres de la Fraction armée rouge (RAF, une organisation terroriste d’extrême gauche) et, à l’été 2017, aux émeutiers du G20 de Hambourg. Comme à Notre-Dame-des-Landes, où la rumeur d’une improbable « cache d’armes » a alimenté la machine à fantasmes, on soupçonne régulièrement les occupants de Hambi de planquer des munitions. (...)

C’est l’heure du ramassage des ordures. On se retrouve, armée d’un sac-poubelle, à fouiller des yeux la zone désolée qui jouxte la mine. Vincenz est militant Greenpeace à Cologne. Il est venu donner un coup de main. On marche en silence. La mine est là, devant. C’est une immense tranchée à ciel ouvert, un monstre de 85 kilomètres carrés, actif jour et nuit. Vincenz ramasse un morceau de plastique. Il désigne les environs d’un geste ample. « La première fois que je suis venu à Hambach, c’était dans les années 70. Tout ça, avant, c’étaient des arbres. » RWE est propriétaire de Hambach depuis 1978. En quarante ans, la mine a avalé 90 % de la forêt. (...)

Hambach est la mauvaise conscience de l’Allemagne. Le symbole des cruels paradoxes de la politique énergétique du pays, qui se targue de mettre fin au nucléaire d’ici à 2022, sans régler la question de ce charbon si polluant, mais si peu cher. L’envolée, ces dernières années, des prix du gaz a fait que l’Allemagne est devenue tragiquement dépendante de son or noir - le charbon représente 40 % de la production d’électricité en Allemagne, dont 23 % de lignite. Tout cela crée des dégâts environnementaux considérables, sans que les politiques ne fassent grand-chose - lobby du charbon, partis politiques et syndicats marchant main dans la main pour protéger le statu quo, le secteur étant encore une manne d’emplois. « Bien sûr, on peut faire des tas de choses pour retarder l’échéance, dit lucidement Wasabi. Mais au fond, c’est tout le système qu’il faudrait changer. » (...)