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Elle se bat pour la vérité sur le terrible accident nucléaire de Maïak, en Russie
Article mis en ligne le 15 septembre 2016
dernière modification le 8 septembre 2016

Dans le plus grand secret, le site nucléaire de Maïak, dans l’Oural, a produit du plutonium militaire avant de retraiter des déchets nucléaires. En 1957, un des plus grands accidents nucléaires jamais arrivés y a contaminé plus de 300.000 personnes. Nadezda Kutepova a grandi dans les environs de Maïak. Son choix de défendre les victimes de cette catastrophe méconnue l’a contrainte à l’exil en France.

Quand elle a rempli les documents attestant son statut de réfugiée politique en France, en avril dernier, Nadezda a demandé au fonctionnaire français de pouvoir y indiquer, pour la première fois, sa ville de naissance : Oziorsk.

Car, pour les autorités russes, Oziorsk n’existe pas et n’a jamais existé. Elle n’est même pas identifiée sur le cadastre. Oziorsk, c’est l’une de ces villes stratégiques fermées, dites zato, liées à l’industrie militaire ou à la production nucléaire. Des villes où il est encore très difficile de pénétrer, vingt-cinq ans après la dissolution de l’URSS et où vivent deux millions de Russes, au secret. Oziorsk abrite le complexe militaronucléaire de Maïak, où furent produits plutonium et polonium à partir de 1948 quand l’Union soviétique commença à vouloir se doter de la bombe nucléaire et où sont retraités aujourd’hui les déchets radioactifs du monde entier.

Comme tous les habitants, employés de l’usine et considérés comme l’élite de la nation, Nadezda a grandi dans le culte du secret — « quand j’allais en vacances à Ekaterinbourg, je n’avais pas le droit de dire d’où je venais, sinon mes parents iraient dans “un trou noir” » —, fière de la contribution de sa famille à la sécurité de la patrie. Une contribution qui a tourné au cauchemar. « Ma grand–mère était ingénieure chimiste et a travaillé à Maïak dès son ouverture : elle est morte d’un cancer du système lymphatique. Mon père a été réquisitionné comme liquidateur après l’explosion de 1957 et il est mort d’un cancer de l’intestin quand j’étais adolescente, et ma mère, neurologue, a soigné les employés de l’usine pendant 40 ans. »

Vingt ans de silence sur l’accident tragique (...)

Car, le 29 septembre 1957, c’est l’accident. Un conteneur de déchets radioactifs explose et contamine une zone de 23.000 km2, affectant 300.000 personnes. Officiellement, il ne s’est rien passé, d’ailleurs, personne ne vit dans la zone puisque les habitants sont enregistrés… au cadastre de la ville voisine. Pourtant, 23 villages ont dû être évacués et détruits. La révélation arrivera vingt ans plus tard, en 1976, quand le biologiste Jaurès Medvedev, frère jumeau du dissident Roy Medvedev, publie Désastre nucléaire en Oural, traduit en France en 1988. Mais il faudra attendre encore 17 ans, sous Boris Eltsine, pour que l’accident soit officiellement reconnu par la loi de 1993, qui prévoit un dédommagement des victimes à condition qu’elles prouvent que leur maladie a un lien direct avec les radiations. (...)

Nadezda remportera 70 procès devant la justice russe, dont l’un, très médiatique, concerne une petite fille morte d’un cancer du foie en 2011 en raison d’une anomalie génétique due à la contamination de sa… grand-mère, employée à Maïak après l’accident en 1957. Ni sa mère ni sa grand–mère n’étaient porteuses de la maladie.

La spirale du harcèlement se met alors en marche (...)

À Maïak, la chape de béton s’est depuis refermée

En juillet 2015, pressée par ses amis russes et français, Nadezda s’enfuit en France, n’emportant avec elle que l’essentiel : ses enfants. Déjà soutenue par l’association Wecf (Women in Europe for a Common Future) dont elle fait partie depuis 15 ans, Nadezda vit difficilement ses premiers mois d’exil, jusqu’à l’obtention, finalement, mi-avril, de son statut de réfugiée politique.

À Maïak, la chape de béton s’est depuis refermée. Plus aucune information ne filtre. (...)

Près de 40 millions de mètres cubes d’eau radioactive auraient encore été déversées dans la rivière entre 2001 et 2004, selon la justice russe elle-même. « Les taux de contamination de la zone sont tels qu’il faudrait évacuer les habitants sans tarder, explique Nadezda. Au lieu de cela, on continue à construire des routes pour apporter toujours davantage de déchets à retraiter. Certains habitants refusent de s’en aller et, quand ils sont relogés, c’est à quelques kilomètres seulement de la Tetcha. » Une mise en garde confirmée par un rapport de la Criirad de 2011, qui établit que les taux de radioactivité sont supérieurs aux consignes de sécurité. (...)