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l’Humanité
Élise Van Beneden, présidente d’Anticor : « Il est temps de rendre son indépendance au Parquet national financier »
Article mis en ligne le 3 juillet 2020

En 2013, au lendemain de l’affaire Cahuzac, du nom de l’ancien ministre délégué au Budget et exilé fiscal, le Parquet national financier (PNF) voit le jour afin de lutter « contre toutes les formes de fraudes et d’atteintes à la probité ». En sept ans, il a ouvert près de 600 dossiers, dont ceux concernant les Panama Papers et les Football Leaks. Mais, depuis qu’Éliane Houlette, à la tête du PNF entre 2014 et 2019, a déclaré avoir subi des « pressions » dans l’affaire Fillon, une ombre plane sur l’institution. Comme le député LR Éric Ciotti qui s’est engouffré dans la brèche, certains demandent sa suppression, arguant que ce parquet « est devenu une juridiction d’exception touchée par le poison du soupçon de la politisation ». À rebours du discours ambiant, la présidente d’Anticor, Élise Van Beneden, loue le PNF, dont elle félicite la grande utilité dans la lutte contre la corruption.

Élise Van Beneden :

La création du PNF a été une grande avancée pour le système judiciaire français, qui avait des difficultés à traiter les affaires politico-financières. Ce n’est pas une institution de plus créée en réaction à un scandale mais un véritable outil qui répond à un besoin : confier à des magistrats spécialisés des enquêtes complexes de par les montages financiers ou délicates de par les personnes visées. Il n’y avait d’ailleurs rien eu à redire sur le travail de M me Houlette jusque-là. Au contraire, le PNF a largement prouvé son utilité et sa compétence. Ce qui est reproché au PNF dans les affaires Fillon et Kohler, c’est l’immixtion de l’exécutif ; il semblerait plus logique de reprocher cette immixtion… à l’exécutif. De plus, le PNF n’a pas de particularité par rapport aux autres parquets : tous sont hiérarchiquement soumis au ministère de la Justice. Il est donc surprenant d’attaquer le PNF sans attaquer la problématique de fond de l’indépendance du parquet. (...)

dans une démocratie, la séparation des pouvoirs doit être assurée, ce qui implique que l’exécutif ne doit jamais s’immiscer dans une procédure judiciaire, sous peine de briser l’équilibre. La justice pénale est composée de deux corps, il y a, d’une part, les magistrats du parquet et, d’autre part, les juges du siège, constitutionnellement indépendants. Il ne faut pas confondre les deux. Les premiers enquêtent, les seconds jugent. Le fait que la carrière des procureurs dépend de l’exécutif jette forcément un soupçon sur leur indépendance. Ce lien hiérarchique est une anomalie dans une démocratie et la porte ouverte à de nombreux abus. (...)

Il est temps de rendre au parquet son indépendance, en supprimant ce lien hiérarchique. (...)

L’opposition politique promet toujours de mettre fin à ce lien hiérarchique mais, une fois au pouvoir, les prétendus obstacles deviennent insurmontables, notamment celui de l’article 20 de la Constitution, selon lequel « le gouvernement conduit et détermine la politique de la nation ». En réalité, le gouvernement n’a pas besoin de décider de la carrière des procureurs pour déterminer la politique pénale, il n’y a pas de lien logique entre les deux. L’exécutif ne veut simplement pas perdre son influence sur le parquet et ce qu’elle permet : politiser une enquête préliminaire. (...)

Si l’on veut moraliser la vie politique en France, il faut conserver le PNF, augmenter ses moyens financiers et donner aux procureurs, non pas seulement du PNF mais aux parquets de toute la France, l’indépendance dont ils ont besoin pour travailler sereinement. Proposer sa suppression est purement démagogue. (...)

Dans son état actuel, oui. Il a le pouvoir de classer sans suite une affaire. C’est en cela qu’Anticor a un rôle à jouer : grâce à l’agrément prévu à l’article 2-23 du Code de procédure pénale, Anticor peut contourner le parquet en allant chercher un dossier sur son bureau pour le déposer sur celui d’un juge d’instruction afin que les affaires ne soient pas enterrées. L’affaire Kohler le montre : un an d’enquête préliminaire, un rapport provisoire à charge et favorable aux poursuites contre le numéro 2 de l’Élysée, puis un mois plus tard un nouveau rapport qui contredit totalement le premier avant un classement sans suite, dans une période de vacances à la tête du PNF. Sans compter la lettre d’Emmanuel Macron. Le timing est suspect. Nous avons saisi un juge d’instruction, indépendant, qui fera la lumière sur ce dossier. (...)

Cela paraît fou de dire cela, mais la problématique est précisément de savoir si la France est ou non une démocratie ! Selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme, une démocratie est un système où la séparation des pouvoirs est assurée. Or on constate que cette séparation est attaquée, maltraitée, ignorée. La justice est pourtant un « pouvoir », elle doit avoir les moyens d’exercer ce pouvoir de manière strictement indépendante. Rendre au parquet sa liberté, cela signifie également favoriser son impartialité et donc l’égalité de tous devant la loi. La condamnation de M. Fillon est, dans ce contexte, un signal positif.