
Compétition et concurrence, croissance du PIB : ces deux dogmes de l’économie s’appuient sur des « valeurs traditionnellement masculines » et rendent invisibles les « activités traditionnellement féminines ». Une analyse de l’économiste Jean Gadrey, à l’occasion du colloque sur "le sexe de l’économie" organisé le 29 mars par Les nouvelles NEWS.
la puissance, la guerre, la performance technique et l’industrie sont, dans les faits, l’apanage des hommes. Il y a bel et bien des représentations sexuées de la richesse et du progrès. L’anthropologue Françoise Héritier (dans son livre : Masculin/Féminin II, Odile Jacob, 2002) en fournit un exemple spectaculaire : « Récemment, une enquête d’opinion publique a été menée par des sociologues pour savoir quels étaient les principaux événements du 20ème siècle. Les hommes répondent majoritairement qu’il s’agit de la conquête de l’espace. À 90 %, les femmes mettent en premier le droit à la contraception ». D’un côté la puissance sinon la guerre et la domination technique sur la nature, de l’autre un aspect central de l’émancipation humaine. (...)
pour en parler, il faut partir d’une caractéristique de cette discipline : la domination actuelle de l’économie orthodoxe, dont le cœur est constitué de concepts se présentant comme universels (le consommateur, le producteur, les offreurs, les demandeurs, l’utilité…), ignorant et rendant invisibles les rapports sociaux, dont les rapports de sexe.
Décrypter la question du sexe de l’économie (dominante), c’est rendre visible ce que masquent ses présupposés universalistes abstraits. Nous le ferons en partant de deux questions :
1) qui produit et diffuse ses énoncés ?
2) En quoi ses contenus ou dogmes sont-ils sexués ? (...)
la puissance, la guerre, la performance technique et l’industrie sont, dans les faits, l’apanage des hommes. Il y a bel et bien des représentations sexuées de la richesse et du progrès. L’anthropologue Françoise Héritier (dans son livre : Masculin/Féminin II, Odile Jacob, 2002) en fournit un exemple spectaculaire : « Récemment, une enquête d’opinion publique a été menée par des sociologues pour savoir quels étaient les principaux événements du 20ème siècle. Les hommes répondent majoritairement qu’il s’agit de la conquête de l’espace. À 90 %, les femmes mettent en premier le droit à la contraception ». D’un côté la puissance sinon la guerre et la domination technique sur la nature, de l’autre un aspect central de l’émancipation humaine.
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La plupart des gens l’ignorent : la production domestique de biens ou « autoproduction » est intégrée au PIB via une équivalence monétaire, mais pas la production domestique de services. Comment diable expliquer que, lorsque Monsieur fait son jardin potager ou construit un garage, et que Madame fait le ménage, la cuisine, et s’occupe des enfants, seul le premier contribue à la richesse nationale officielle ? (...)
Compte tenu des limites du PIB et de la croissance comme indicateurs de progrès, celles qui viennent d’être mentionnées et beaucoup d’autres, on comprend l’émergence d’un mouvement international en faveur d’indicateurs alternatifs. Nombre de ces derniers font intervenir des critères d’égalité entre les femmes et les hommes.
S’interroger sur le sexe de l’économie est une manière féconde, parmi d’autres, de mettre en cause « l’économisme », la prétention d’une certaine science économique à imposer des concepts, des lois, des visions de la richesse, qui masquent des pratiques et des valeurs (coopération, échanges justes, partage des tâches, travail gratuit au service du bien-être…) décisives pour sortir de la crise actuelle. Pour passer d’une économie du « toujours plus » et de la marchandisation de tout à une économie du « prendre soin » exigeant la parité à tous les étages, aussi bien dans les pratiques que dans les représentations.