
C’est un panneau comme on en voit dans le métro ou sur les palissades des chantiers. De ceux qui vous proposent de devenir propriétaire, dans un nouvel immeuble en construction, "proche de toute commodité". Des lettres blanches, des images de synthèse du futur bâtiment, un macaron "promo"… Tout y est. A ceci près que le texte ne doit pas grand-chose au clavier policé d’un service marketing. "Polluland. Vous y resterez… pour l’éternité. Devenez propriétaire, développez votre cancer en toute tranquillité", lit-on sur la bâche brandie par des habitants de Romainville (Seine-Saint-Denis), une commune à l’est de Paris. Nous sommes sur l’ancien site de Wipelec, un terrain industriel pollué, entre autres, au trichloréthylène (TCE), un solvant cancérogène. Un immeuble d’habitation doit bientôt se dresser sur le terrain vague. (...)
Ces trois usines, que vous nous avez signalées dans le cadre de notre opération #AlertePollution, font partie des 6 987 sites et sols pollués répertoriés par l’Etat dans une base de données nommée Basol. Ils racontent l’histoire compliquée de la dépollution, d’un Etat impuissant, face à des industriels peu soucieux de l’environnement et du principe pollueur-payeur. (...)
Ces sites ne se contentent pas de souiller les sols : ils polluent aussi la vie des anciens salariés et des riverains. (...)
A Romainville, les malades sont plus nombreux parmi les riverains du site industriel. (...)
Vingt-six personnes sont mortes dans l’indifférence. (...)
Le fait de ne pas avoir recensé de pathologies reconnues comme étant liées à une exposition au TCE ne signifie pas que les riverains de Romainville n’ont pas été affectés par l’exposition au TCE, mais que cet effet éventuel, s’il existe, n’a pas pu être mis en évidence dans notre étude.
Santé publique France (...)
Une recherche sérieuse et globale, il n’en existe en tout cas pas sur les effets de la santé des anciens sites industriels en France. (...)
A Romainville, une douleur financière et psychologique s’ajoute à cette détresse sanitaire. Les habitants ne peuvent pas partir : leur pavillon ne vaut plus rien et il y a toujours un crédit à rembourser. (...)
Face à ces situations, l’Etat n’est pas toujours très réactif. (...)
La réglementation est pourtant très claire : l’exploitant d’un site industriel a l’obligation de mettre le site en sécurité et de réaliser les travaux de dépollution nécessaires, même si la pollution est l’œuvre du précédent exploitant. C’est marqué noir sur blanc dans le code de l’environnement. (...)
Dans la pratique, les associations écologistes reprochent aux préfets de privilégier trop souvent l’emploi et les investissements, plutôt que le respect de l’environnement. (...)
La pression associative et médiatique est souvent le meilleur moyen de faire bouger les choses. Le 4 novembre 2016, les équipes de la direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (Driee) finissent par débarquer à l’usine Wipelec de Meaux pour une "visite d’inspection inopinée". Fûts de produits chimiques rouillés, déchets entreposés à l’extérieur ou déversés à même le sol, bassin d’eaux usées rempli d’acides… Les fonctionnaires n’ont pas fait le déplacement pour rien. Le 24 février 2017, une nouvelle inspection permet de constater pas moins de 46 "non-conformités notables". Au mois d’avril, la sanction tombe : le préfet de Seine-et-Marne finit par suspendre l’activité de l’usine. Une décision que le patron ne respectera pas totalement. (...)
Dans certains cas, l’Etat n’est pas seulement accusé d’être lent à la détente. Il lui est aussi reproché de se montrer complaisant avec les entreprises. (...)
Cette impuissance de l’Etat laisse le champ libre aux patrons peu scrupuleux. (...)
Au téléphone, l’entrepreneur n’est pas très bavard devant nos questions, notamment celles concernant les tonnes de mâchefers toujours sur place neuf ans après la fermeture du site. Après cinq bonnes secondes de silence, Michaël Brüggler nous explique en allemand… qu’il ne parle pas français. Fin de la conversation. A l’époque, le quinquagénaire n’avait pas non plus mis longtemps à quitter la Normandie pour rentrer chez lui à Zurich (Suisse). Il est aujourd’hui à la tête d’une gamme de montres de luxe à son nom, qu’il gère avec sa femme. A la fin mai, l’entrepreneur suisse a comparu devant la cour d’appel de Rouen pour "destruction involontaire par incendie", "mise en danger de la vie d’autrui" et "infraction liée à l’exposition aux produits chimiques". Le jugement est attendu pour mi-septembre. En première instance fin 2016, il avait été condamné à trois ans de prison ferme et 45 000 euros d’amende. (...)
Joëlle Roborg attend, elle aussi, que son ancien patron s’explique devant la justice. Guy Pelamourgue risque jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende pour avoir continué à faire tourner une partie de l’usine de Wipelec malgré les sanctions. (...)
"Le directeur se croit au-dessus des lois. Les amendes, il les payait puis reprenait de plus belle des actes délictueux environnementaux et sanitaires. Ce qui m’a convaincu d’alerter l’autorité environnementale après l’avoir mis maintes fois en garde en interne. Il a été placé deux fois en garde à vue. Mais la police, la gendarmerie, la justice... Ce ne sont pas des choses qui lui font peur." (...)
Les entrepreneurs traînent aussi parfois des pieds au moment de signer le chèque nécessaire à la dépollution. (...)
dépolluer coûte cher, très cher. Dans le dossier Wipelec à Romainville, l’Etat a déjà mis 1,3 million d’euros et le promoteur immobilier a rallongé de deux millions. Cela coûte tellement cher que certaines villes s’en remettent au privé pour s’en sortir. (...)
Si on me dit qu’on remet l’ISF pour dépolluer les sols de France, je signe tout de suite.
Jean-Pierre Grenier, de l’association Bien vivre à Vernouillet (...)
A ceux qui s’alarment du coût de telles mesures pour l’activité économique, Sébastien Mabile rétorque qu’aujourd’hui, "c’est l’ensemble de la société" qui supporte ce coût. "C’est un raisonnement à court terme. A long terme, les pertes liées à ces sites sont considérables : prix du foncier, dépollution… Aujourd’hui, c’est supporté par les particuliers. En matière d’équité, on a vu mieux."