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ENQUETE FRANCEINFO. "C’est exactement comme dans l’Eglise" : malgré des efforts, le sport français peine à parler des violences sexuelles
Article mis en ligne le 22 février 2020

Les révélations qui ébranlent le patinage artistique, treize ans après une affaire qui a déjà secoué le tennis, n’ont pas encore provoqué de révolution #MeToo dans le sport français. La faute à un système qui cadenasse la parole d’athlètes isolés et fragiles.

Même elle. Même la Fédération française de wakeboard et de ski nautique a fini par ouvrir une cellule d’écoute pour les victimes de violences sexuelles. Bien lui en a pris : selon nos informations, un signalement est arrivé dès le lendemain de sa mise en place, début février. L’histoire d’une ancienne membre de l’équipe de France qui révèle avoir été abusée par son coach il y a une quinzaine d’années, quelque part dans le sud de la France. "Ça a été un immense choc, lâche, démuni, Grégory Saint-Genies, le directeur technique national. Bêtement, on pensait être épargnés, on s’est trompés."

Il n’est pas le seul : beaucoup de sportifs sont tombés de l’armoire en prenant connaissance des cas de violences sexuelles qui éclaboussent le sport français ces dernières semaines. "Ça a été comme une explosion atomique", nous souffle Surya Bonaly depuis le Minnesota (Etats-Unis) où l’ancienne patineuse entraîne désormais. (...)

C’est aussi que, au plus haut niveau, on n’a pas vraiment donné l’exemple : les ministres et secrétaires d’Etat passés par la case des Sports n’ont pas toujours semblé voir le problème. "Il n’y a pas d’omerta dans le sport", clamait ainsi Laura Flessel en 2017. "Personnellement, je n’ai jamais été sollicité pour ce genre de cas", assure de son côté Thierry Braillard, qui occupera pourtant le poste pendant trois ans sous François Hollande.

Comme si le courage d’Isabelle Demongeot n’avait servi à rien. En 2007, l’ex-numéro deux du tennis français raconte dans un livre de 260 pages les neuf années de calvaire pendant lesquelles elle dit avoir été violée par son entraîneur, Régis de Camaret, condamné depuis à huit ans de prison ferme pour viols et tentatives de viols. A l’époque, Roselyne Bachelot promet d’attaquer de front le sujet des violences sexuelles. Sans grand succès. "Cela paraissait comme un malheur individuel, analyse rétrospectivement l’ex-ministre de la Santé, de la Jeunesse et des Sports. Tout ça ne mettait pas en cause un système. Et je n’ai pas senti le monde du sport très réactif. On a été poli avec moi parce qu’on m’appréciait, mais bon..." (...)

Treize ans plus tard, le ministère ne semble toujours pas davantage armé pour faire front. "On marche sur la tête, s’agace Philippe Baylac, du Syndicat de l’encadrement de la jeunesse et des sports. D’un côté, on nous demande de contrôler chaque personne qui approche de près ou de loin une structure sportive. De l’autre, on nous enlève des postes." Neuf départements n’ont tout simplement plus d’inspecteur de la jeunesse et des sports aujourd’hui, dont le Rhône et l’Oise, qui pèsent pourtant trois millions d’habitants à eux deux.

"C’est un énorme problème, soupire le syndicaliste. Notre rôle, c’est de mettre en œuvre les politiques publiques arrêtées par le ministère. En clair, s’il y a des difficultés quelque part, il faut être en mesure d’intervenir. Actuellement, dans cette configuration, on ne peut pas." Ce qui fait dire à la Confédération nationale des éducateurs sportifs (CNES) que "si les contrôles avaient été faits, Régis de Camaret n’aurait jamais pu enseigner et encadrer !"

Un milieu dirigé par de vieux messieurs qui se cooptent entre eux, qui n’ont pour certains plus mis les pieds sur le terrain depuis longtemps, et qui s’accrochent à leur pouvoir en mettant de côté les affaires qui pourraient nuire à l’institution ? Ça ne vous rappelle rien ? L’Eglise catholique ? Non. Le sport français. La comparaison revient presque systématiquement dans la bouche des personnes interrogées. (...)

Et la figure du curé-confesseur n’est pas si éloignée de celle de l’entraîneur-gourou, seule voie de l’athlète vers la lumière, non pas divine, mais des podiums. "Ce sont les mêmes mécanismes que dans l’Eglise, avec un père qui est reconnu comme l’unique détenteur de l’autorité, abonde Benjamin Maze, DTN à la Fédération française de triathlon. Il faut s’en prémunir."

De la même façon, quand un entraîneur commence à faire jaser au sein de ses ouailles pour son comportement déplacé, on déplace le problème de paroisse/de club, plutôt que de le traiter en profondeur. C’est encore arrivé il y a un an et demi dans un club de handball, alors qu’un enfant affirmait avoir été victime d’agressions sexuelles de la part d’un entraîneur. Premier réflexe du club : exfiltrer le danger, rapporte Vincent Gérard, président de l’Association des joueurs professionnels de handball (AJPH) et gardien de but du PSG et des Bleus. (...)

Faire évoluer les mentalités au sein des hautes sphères du sport, c’est comme piloter un paquebot : il faut s’armer de patience. (...)

Des remarques déplacées envers les patineuses, des séances de préparation physique qui laissaient les filles en moins bonne forme qu’elles ne l’étaient avant... De quoi lancer une enquête interne. Mais impossible, sans preuve, d’écarter l’importun. C’est là que Bruno Travail a fait fonctionner le système D. "Je me suis demandé s’il était vraiment ce qu’il prétendait être." Bingo ! Une recherche dans la base de données prouve l’existence d’un faux diplôme. Le président dispose d’un angle d’attaque pour assigner au tribunal son ex-préparateur physique. (...)

Dans un club où chaque euro compte, ce genre de démarche demeure un luxe (...)

Et la fédération dans tout ça ? Bruno Travail assure qu’elle a été aux abonnés absents, tant pour apporter une aide juridique que pour diffuser un avis national pour empêcher l’indélicat de toquer à la porte du club voisin. "J’ai prévenu les dirigeants de club que je connaissais. Je ne peux pas me substituer à la fédération."

Pour un salarié, les présidents de club disposent de quelques outils. Mais quand il s’agit d’un bénévole, ils sont obligés de faire confiance. Impossible par exemple de demander un extrait de casier judiciaire avant de lui confier une équipe. (...)

En attendant d’être suffisamment nombreux pour organiser un défilé entre République et Nation, l’athlète se retrouve structurellement en position de faiblesse par rapport à ses dirigeants : "Pour peu qu’on soit en difficulté face à sa fédération, qui peut décider des qualifications aux Jeux, le sportif n’a aucune possibilité de recours. Et dans des sports comme le patinage, quand l’appréciation de la performance se base sur une interprétation, vous êtes entièrement entre les mains des instances dirigeantes."

Un motif d’espoir quand même : la plupart des organisations ont compris que les sportifs ont besoin de se tourner vers quelqu’un. Même les sports qu’on imagine préservés se bougent. (...)

Le sport français commence à nettoyer devant sa porte, encore faut-il jauger l’intensité du coup de balai. La preuve : "Attention à ne pas tomber dans une chasse aux sorcières quand même, se permet un dirigeant. OK pour avancer mais sereinement. Ne cassons pas tout non plus." Dit autrement : n’oublions pas que ce sont bientôt les Jeux olympiques. (...)

Même parmi les sportifs en activité qui rêvent de valider leur ticket pour Tokyo, il vaut mieux des Jeux gâchés par une affaire que de mettre, une nouvelle fois, la poussière sous le tapis.

La vie d’un enfant, on ne peut pas l’évaluer en terme de pertes de licenciés ou de moindres rentrées d’argent.Le handballeur Vincent Gérardà franceinfo

Surtout qu’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences en termes de licenciés de ce que certains comparent déjà au #MeToo du sport. A commencer par le sport d’où tout est parti, le patinage artistique. Depuis les révélations, "on n’a pas eu de vent de panique des parents qui ont retiré leurs enfants", constate Sandra Ulmann, du HAC Patinage, au Havre. "Pour un éventuel impact sur le nombre de licenciés, il faudra attendre la rentrée de septembre."