
Comment vaincre l’organisation de l’État islamique ? Telle est la question que se posent les gouvernements occidentaux. Avant de se précipiter dans de nouvelles aventures, il faut prendre le temps de réfléchir et de tirer les leçons des échecs passés.
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1. Ne pas surestimer la menace
Faire peur, ce n’est jamais que l’objectif ultime des terroristes. Un assassin tue. Un terroriste aussi. Sauf que ce dernier ne le fait pas tant pour tuer que pour provoquer des représailles et susciter de l’effroi. Céder à cet effroi, c’est contribuer au succès des terroristes. (...)
2. Ne pas espérer détruire l’OEI avec des bombes
La campagne aérienne déclenchée en août 2014 par une coalition internationale pourra certes détruire des camps d’entraînement, tuer des dirigeants ou perturber les mouvements de l’OEI. Pourtant aucun groupe terroriste n’a jamais été détruit par une campagne de bombardements. (...)
3. Se méfier de ses amis
Tout le monde se déclare prêt à combattre l’OEI, toutefois chacun a ses arrière-pensées. Les monarchies sunnites sont davantage préoccupées par l’Iran, et l’Iran par les monarchies sunnites. Les Kurdes voient dans le combat contre l’OEI une chance de récupérer l’administration d’un territoire autonome, perspective que la Turquie veut éviter à tout prix. La Russie entend consolider sa position stratégique dans la région. Personne, parmi les acteurs cités, n’a les mêmes priorités, et les divergences au sein de cette « coalition » l’affaiblissent.
4. Ne pas être obsédé par le discours religieux
L’OEI justifie avec une insistance suspecte toutes ses actions avec un discours religieux. La religion est importante pour certains de ses militants, mais elle est aussi en partie le masque de la politique (...) Dans les pays en guerre, on massacre. Et chez nous, on stigmatise et discrimine. Le degré d’exclusion est différent, cependant le résultat identique. Dans tous les cas, ce sont les musulmans sunnites qui sont visés, et que l’OEI cherche à fédérer.
5. Cesser de croire dans les vertus des régimes autoritaires
La vague contre-révolutionnaire actuelle semble remettre en selle le discours des diplomates avant les « Printemps arabes » : « les dictateurs arabes sont peut-être peu fréquentables, mais ils constituent au moins un rempart efficace contre le terrorisme ». Rien n’est plus faux. Certes, si les régimes autoritaires peuvent contenir leur société, ils le font comme la cocotte-minute contient le bouillon. (...)
6. Ne pas prendre le résultat pour la cause
L’OEI, comme les autres groupes extrémistes, est un symptôme bien davantage que la cause des maux du Proche-Orient. Combattre l’OEI sans s’attaquer aux causes politiques, sociales, économiques, qui ont permis son ascension et lui ont assuré des succès est voué à l’échec. (...)
7. Ne faire reculer l’OEI que là où une alternative est possible
Comme enseigné dans les écoles militaires, il ne faut pas chercher à conquérir un territoire si l’on n’a pas la volonté ou les moyens de le contrôler par la suite, sinon, la victoire de la conquête se traduit en débâcle de l’occupation. Le projet politique doit accompagner, et même anticiper, les opérations militaires. Si l’OEI s’effondrait aujourd’hui sous les coups d’une coalition militaire, cela ne signifierait pas nécessairement une victoire. Faute de projet politique, les populations seraient livrées à un chaos qui ouvrirait la voie, dans six mois, dans un an, à un groupe aussi radical que l’OEI.
8. « Désescalader » le conflit chiites-sunnites
Les tensions actuelles sont alimentées par des sentiments de victimisation réciproque, des envies de revanches, une vision de l’autre fantasmée et parfois paranoïaque. (...)
9. Ne pas laisser pourrir les crises
Il faut bien sûr un accord de paix en Syrie. Il faut aussi que tous les Irakiens soient représentés par des institutions justes et inclusives. Il faut évidemment ramener la paix au Yémen et en Libye. Les guerres et les crises à travers le monde musulman sont un formidable vivier pour l’extrémisme et le terrorisme. (...)
10. Penser la paix civile avant toute intervention militaire
Une intervention militaire peut certes produire des résultats immédiats, en détruisant l’aura d’invincibilité du mouvement. Mais l’éradication d’un groupe terroriste ne peut provenir que d’un processus politique qui peut prendre de longues années. (...)
Consolider le front intérieur, fragilisé par la menace terroriste, est une urgence qui ne peut attendre le démantèlement de l’OEI. Cela passe bien sûr par une prévention efficace des attentats, et aussi par le renforcement de la cohésion nationale et un rassemblement autour de ses valeurs. Refusons les politiques de la peur.