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France Culture
Dire "fascisme" en 2021 : abus de langage ou clairvoyance ?
Article mis en ligne le 1er octobre 2021
dernière modification le 30 septembre 2021

Depuis les années 1970, des historiens tentent de bousculer la définition du fascisme pour dilater ses frontières dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’intellectuels envisage le fascisme contemporain en esquivant la comparaison stérile avec les années 30.

S’il existait un indice Orwell, il aurait sans doute pulvérisé tous les records depuis quinze ans tant la circulation de l’auteur britannique antifasciste a explosé. Et avec sa circulation, c’est son usage, ou plutôt son appropriation qui s’est étrangement élargie. Car l’auteur engagé de 1984 ou de La Ferme des animaux, mort en 1950, est à la fois très à la mode, et souvent ventriloque : son œuvre riche et foisonnante, ses positionnements subtils et réflexifs, nous sont aujourd’hui accessibles sans testament. Au point qu’on peut facilement se réclamer de George Orwell. Y compris en faisant dire bien des choses à l’ancien militant du POUM, engagé dans la guerre d’Espagne, qui pendant des décennies fut d’abord un marqueur affinitaire pour l’extrême-gauche antifasciste. Plus un terreau qu’un credo sans doute, mais en tous cas un langage commun : Orwell était celui qui avait vu que marcher au pas de l’oie n’est pas une condition liminaire du fascisme, avait explicité que l’habit ne fait pas le moine en matière de chemises brunes, et que le fascisme peut aussi se décliner sous des dehors policés. (...)

A chacun son Orwell puisqu’à chacun son fascisme ? On entend désormais taxer de fascisme des gens, des idées et par exemple des lois issues de bords politiques tout à fait variables, et même antagonistes :

"Fasciste !", c’est Emmanuel Macron sur des pancartes d’opposants au pass sanitaire qui battent le pavé, le samedi, dans des cortèges dont le recrutement trouble les frontières partisanes et où fleurissent des pancartes pour réclamer un nouveau procès de Nuremberg ;
le fasciste, c’est aussi Jean-Luc Mélenchon dans le viseur d’une candidate écologiste qui estimait sa rhétorique fascistoïde ou aux yeux de Umberto Ecco qui distinguait en lui un fascisme tendance Robespierre dans Reconnaître le fascisme (en 2017 en français, chez Grasset) ;
un “film fasciste”, c’était Bac Nord dans les colonnes de critique cinéma de Libération à l’été 2021 ;
et puis la fasciste, c’est encore Marion Maréchal - Le Pen, désormais jeune mariée avec un eurodéputé italien qui s’affiche aux côtés de groupuscules nostalgiques de Mussolini.

La France n’est pas sous un régime fasciste. Et l’usage du mot “fascisme” dans le débat public recouvre au fond des réalités disparates. Mais alors que sort un petit livre d’intervention signé de Ludivine Bantigny et Ugo Palheta, Face à la menace fasciste, chez Textuel, on est frappé de voir que le terme a si bien essaimé en quelques années qu’il s’est comme découvert. Là où précisément, du même auteur Ugo Palheta, avait paru en 2018 La Possibilité du fascisme (à La Découverte), un ouvrage finement analytique… qui n’avait rencontré qu’un maigre écho médiatique. Comme si, indépendamment du contenu- même du livre, le mot risquait de coller aux doigts. En 2018, le terme “fascisme”, en français dans le texte, ressortait-il d’un registre trop militant, arrimé du côté de l’extrême-gauche antifasciste, pour qu’on puisse y voir autre chose qu’un abus de langage ?

Trois ans plus tard, le curseur semble avoir bougé, et le regard commencé à changer. Au-delà du mot qui fleurit ici ou là comme un nom d’oiseau, l’idée de réfléchir à ce qui féconde le fascisme n’est plus aussi marginale dans l’espace public. Tournant le dos à l’invective facile, plusieurs voix envisagent désormais ce que seraient les conditions de possibilité d’un fascisme d’ici et d’aujourd’hui. Ainsi a-t-on pu voir, coup sur coup, et dans des registres bien distincts (...)

A écouter :

  • LE CLUB : Antisémitisme, antiparlementarisme : comme un air de fascisme ?
  • Le fascisme, 100 ans après
  • Enzo Traverso : après la révolution, le post-fascisme ?
  • Des échos de 1938
  • Zeev Sternhell, l’histoire à bras-le-corps 3/5 : Le fascisme qui fâche
  • L’histoire et l’avenir du fascisme en France
  • 1919, année de la paix 2/4 : La controverse anti-Keynes après le Traité de Versailles

(...)