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Basta !
Détroit, laboratoire du monde d’après le néolibéralisme
Article mis en ligne le 8 juin 2013
dernière modification le 4 juin 2013

La ville de Détroit, symbole du capitalisme et de l’industrie automobile, n’est plus que l’ombre d’elle-même. En cinq ans, ses habitants ont subi une brutale décroissance forcée : un taux de chômage exorbitant, un exode urbain sans précédent, des services publics délabrés. Pourtant, derrière les scènes de désolation, une société post-industrielle est en train de naître, grâce à l’expansion d’une agriculture urbaine et à l’émergence de solidarités de quartier. Basta ! a rencontré celles et ceux qui bâtissent une nouvelle cité sur les ruines de la Babylone déchue.

(...) « Pendant les soixante-dix dernières années, les habitants de Détroit ont cru à tort que leurs vies étaient liées à General Motors, Ford et Chrysler, explique Maureen Taylor, militante depuis des années dans la lutte contre la pauvreté. Ils nous ont mis dans la tête que ce qui était bon pour eux était bon pour nous. Il nous fallait donc cesser de marcher et conduire des voitures. Et si nous n’aimions plus cette voiture, nous en achetions une autre. Cela a duré pendant des décennies mais aujourd’hui, c’est fini ». Tournant le regard vers les rues désertes de Détroit, Maureen conte le quotidien de ses habitants les plus touchés par la crise. Des gens mourant de froid sur les trottoirs, des enfants retrouvés morts dans les maisons incendiées, un système de soin de santé inaccessible pour les bas-revenus, « un monde de fous » résume t-elle. (...)

« La désindustrialisation a débuté après la deuxième guerre mondiale. Avec l’automatisation, le nombre de travailleurs nécessaires sur les lignes d’assemblage a fortement diminué. Face à la montée du mouvement ouvrier, beaucoup d’usines sont parties s’installer en banlieue. Comme les jeunes ne trouvaient plus d’emploi, ils se sont dits : pourquoi aller à l’école si je peux gagner de l’argent en une journée avec de la drogue ? L’économie de la drogue s’est donc développée. » (...)

« Tuer les pauvres ne leur fait pas peur » dénonce t-elle. Ces dernières années, plusieurs incendies mortels ont eu lieu dans des maisons qui ne recevaient ni gaz ni électricité. Et de blâmer la réduction de moitié du nombre de pompiers à Détroit, alors même que le taux d’incendie criminel est le plus élevé au monde avec 30 feux de structures par jour. « La municipalité ferme volontairement les yeux », dénonce Maureen. Plusieurs dizaines de milliers de résidences seraient également affectées par des coupures d’eau menées par la régie municipale. (...)

Au royaume de la bagnole, les liaisons en bus sont très rares entre son centre-ville et sa banlieue. Les trains de voyageurs sont quasi-inexistants. Le berceau de l’automobile a beau être en crise, l’alternative en matière de transports en commun n’existe pas. D’autant que des coupes drastiques ont été opérées dans le budget du transport : plus d’une centaine de chauffeurs de bus licenciés, certaines lignes supprimées ou réduites. « Si tu n’as pas de voiture à Détroit, tu ne peux rien faire », confirme William. Et pourtant, un quart des habitants n’en posséderaient pas. Les inégalités sont aussi une question de mobilité. (...)

A l’âge de 19 ans, tu dois acquérir ta première maison. Tout autour de nous, le capitalisme continue d’opérer. Nous ne reconnaissons toujours pas que nous avons fait une erreur. Pour l’instant, les effets collatéraux ont seulement touché le centre-ville. » C’est ce que l’on appelle aussi ici « l’effet donut », du nom de ces beignets gras percés d’un trou en leur milieu. (...)

Détroit serait-elle définitivement devenue une ville fantôme, un laboratoire abandonné de la mutation en cours ? Pas si sûr. « De plus en plus de jeunes gens quittent les banlieues et regagnent le centre-ville pour s’y installer. Ils y achètent une maison à bas prix, s’équipent d’un vélo et réinvestissent progressivement Détroit », s’enthousiasme Grace Lee Bogs. « Avec la crise énergétique, le modèle des banlieues ne tient pas. Elles ont été pensées pour un pétrole à bas-prix ». Pour elle, une société post-industrielle est en construction dans la métropole déchue. Détroit pourrait ainsi constituer « une opportunité unique » de repenser ce à quoi une nouvelle communauté américaine pourrait ressembler. (...)

L’une des clés réside dans le mouvement autour de l’agriculture urbaine en pleine expansion. (...)

Développer un jardin est un moyen de construire une solidarité de quartier. Dans la droite ligne du sociologue américain Saul Alinski qui a fortement inspiré Barack Obama, l’objectif est de « construire une communauté », et de la rendre en quelque sorte résiliente aux évènements extérieurs. (...)

l’enjeu est aussi de créer des emplois. « Il n’est plus nécessaire de compter sur l’automobile, mais nous pouvons par contre nous appuyer sur l’agriculture, plus saine pour tous et redonnant du sens à la vie collective ». (...)

« Les cinquante prochaines années seront très différentes car nous n’aurons plus accès au pétrole à bas-coût et cela va tout changer. La raréfaction de l’énergie questionne l’alimentation, les transports, les bâtiments. Nous faisons tous partie d’un système qu’il nous faut changer ou aucun d’entre nous ne survivra ». (...)

Détroit est-elle entrée malgré elle en transition ? Pour Grace Lee Boggs, la ville a été pendant des décennies le symbole international de l’industrialisation avant de devenir celui de la dévastation du capitalisme. Aujourd’hui confie Grace, « nous créons une société post-industrielle, une nouvelle civilisation. En sortant de chez moi, vous pouvez regarder autour de vous et voir seulement une ville en ruine. Ou bien, regarder Détroit et vous dire, voici notre futur ». Ce qui se joue à Détroit inspirera-t-il d’autres parties du monde frappées du même mal, qu’il se nomme austérité ou récession ? (...)