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Des paysans inventent leurs outils pour se libérer de l’industrie
Article mis en ligne le 28 août 2022

Comment réparer des machines ultrarobotisées, aux logiciels complexes ? La numérisation accroit la dépendance des agriculteurs à l’industrie, dénoncent les partisans d’outils simples, libres et reproductibles.

Le gouvernement l’assure : la numérisation de l’agriculture, c’est l’avenir. Robots et applications la rendraient plus économe en eau, en pesticides, plus résistante au changement climatique... Vraiment ? Reporterre démonte ce mythe dans une enquête en quatre volets.

Un champ rempli de carcasses de moissonneuses-batteuses avec des disques durs qui pendouillent sur leurs flans. Le documentaire La bataille du libre produit par Arte commence par ces images désolantes au Kansas. « Si on a le moindre bug, ça met toute la machine hors service. On devrait pouvoir continuer à les réparer comme avant », déplore le protagoniste du film. La scène illustre la dépendance accrue de l’agriculture à l’industrie à cause d’outils numériques de plus en plus complexes. Une dépendance dénoncée par les tenants de l’agriculture paysanne. Avec son manifeste Reprendre la terre aux machines (Seuil, 2021), la coopérative d’auto-écoconstruction d’outils agricoles l’Atelier paysan affirme que la lutte pour l’agriculture paysanne passe par les outils. (...)

« L’outil qu’on ne peut pas entretenir et réparer soi-même, pour lequel on est dépendant d’une instance en situation de quasi-monopole technique et qui nous fait payer cher ses services, cet outil nous asservit. » Face à cette définition de l’outil industriel, l’Atelier paysan oppose l’outil paysan. La coopérative accompagne ainsi des ateliers pour la conception de prototypes low-tech — en opposition à high-tech. « L’enjeu est d’être capable de réparer et d’adapter son outil et non d’être face à une boîte noire d’une complexité folle, explique à Reporterre Hugo Persillet, formateur au sein de l’Atelier Paysan. Construire et maintenir des outils avec peu de technologies assure leur durabilité. » Autre différence : le coût, afin de ne pas contribuer à l’endettement des agriculteurs. (...)

Même des geeks admettent ces critiques. Julien Ancelin, agriculteur et ingénieur d’étude à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), développe un service en open source [1] (disponible pour tous, donc) pour les agriculteurs voulant améliorer la précision des outils de géolocalisation GPS, notamment l’autoguidage des tracteurs. « Les outils commerciaux qui existent sont chers et donc réservés aux plus riches. Et on est pieds et poings liés à industrie, sans avoir la main sur nos données », dénonce l’ingénieur. Avec le réseau Centipède, il propose aux agriculteurs de bénéficier gratuitement d’un service qui coûte sinon autour de 800 euros par an. Et ceux qui veulent monter leur propre balise pour corriger le signal GPS en temps réel sur leur exploitation peuvent acquérir le matériel pour 500 euros. « L’open source évite aussi d’être bloqué par des mises à jour », complète Julien Ancelin.

« Le numérique est un bélier incroyable de l’industrie » (...)

La perte des savoir-faire agricoles avec la numérisation de l’agriculture est une autre critique que fait l’Atelier paysan. En dédiant l’observation aux capteurs et l’analyse au traitement automatisé des logiciels, le rôle de l’agriculteur est marginalisé. Hugo Persillet y oppose le besoin de recherche et développement par les paysans (...)

« C’est une fausse bonne idée, cette affaire de nouvelles technologies : ça coûte cher et on perd en compétences agricoles », assure aussi Aurélien Leray, éleveur laitier, président du réseau Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural). Le jeune paysan breton compare son élevage de cinquante vaches nourries à l’herbe avec celui de son voisin qui possède plus d’une centaine de têtes et un robot de traite. Le temps gagné grâce au robot, il l’a réduit en ayant moins de bêtes et en faisant une seule traite par jour. La baisse de ses coûts lui permet de défendre son modèle économique, alors que « le robot de traite coûte environ 120 000 euros, auxquels s’ajoutent 10 % chaque année pour payer l’entretien de la machine », explique-t-il. (...)

L’éleveur déplore aussi des évolutions technologiques qui se font au détriment du nombre d’agriculteurs. (...)

Les chiffres sont sans appel : l’agriculture française a perdu 100 000 fermes ces dix dernières années, soit une ferme sur cinq. Ainsi, l’agriculture industrielle de plus en plus technologique contribue à la disparition des agriculteurs et en même temps serait la solution pour répondre à leur disparition grâce à l’automatisation des tâches ? La Confédération paysanne a un autre projet : celui d’installer un million de paysans. « L’objectif de doubler le nombre de paysans est à la fois modeste et révolutionnaire pour renverser le modèle technico-industriel », conclut Hugo Persillet.