
Sur Facebook, des internautes dénoncent l’emploi par les forces de l’ordre d’un gaz qui serait "plus puissant" qu’à l’accoutumée. Mais les observateurs sur le terrain mettent plutôt en cause les pratiques des policiers.
Depuis le mois d’avril, un même message circule sur Facebook, partagé des milliers de fois et relayé par des comptes soutenant le mouvement des "gilets jaunes". Cette publication, illustrée par la photo d’une grenade lacrymogène usagée, affirme que les forces de l’ordre emploient désormais "un gaz plus puissant" contre les manifestants "dans certaines villes".
"Le CM3 serait six fois plus intense que le CM6", est-il écrit dans ce message, qui liste également les effets secondaires prêtés à cette arme de maintien de l’ordre : "lésions cutanées", "lésions cornéennes", "augmentation des nausées", "brûlures au visage", "dommages (...) permanents" et accroissement du "risque de maladie chronique". (...)
En réalité, les CM3 et les CM6 ne sont pas deux gaz lacrymogènes différents, mais deux types de grenades lacrymogènes, parmi toutes celles qui équipent les forces de l’ordre. Toutes deux sont "en dotation chez les CRS", indique à franceinfo la direction générale de la police nationale (DGPN). Les gendarmes n’en sont donc pas pourvus. CM3 et CM6 contiennent le même composé chimique : du 2-chlorobenzylidène malonitrile, abrégé en CS. Les premières renferment trois petites coupelles de CS, quand les secondes en comptent six – d’où le nombre derrière les lettres CM. (...)
Interrogé par franceinfo sur la composition des grenades lacrymogènes, Laurent Nunez, secrétaire d’Etat auprès du ministère de l’Intérieur, a assuré en février que "la recette n’a absolument pas changé". Sans en dire plus. Contacté, le fabricant de ces grenades, Alsetex, n’a pas répondu à nos sollicitations. Si les observateurs confirment ce "ressenti" de grenades lacrymogènes "plus intenses", ils mettent surtout en cause les techniques employées par les forces de l’ordre. (...)
"Avec le Cougar, les policiers appuient la crosse sur l’épaule ou la hanche et tirent vers le ciel. Avec le PGL-65, ils tirent comme avec le LBD, en tir tendu, observe Yann. Les palets ne tombent plus en rideau, mais de manière beaucoup plus rapprochée. Et toutes les grenades sont tirées en même temps. La concentration en gaz est beaucoup plus importante et l’air est plus saturé." (...)
Cette technique de tir produit des effets différents selon la topographie, d’après les observateurs. "Dans les petites rues de Toulouse, le nuage est extrêmement dense et intense. Aujourd’hui, on peut se perdre dans les nuages de lacrymos, on n’y voit pas à trois mètres", constate Pascal Gassiot, membre de l’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP), qui a coordonné un rapport (PDF) faisant la synthèse de deux années d’observations sur le maintien de l’ordre pendant les manifestations à Toulouse. (...)
Des effets qui sont "plus prolongés"
Le secret qui entoure la composition des grenades lacrymogènes ne permet pas de trancher le débat. Il a aussi alimenté les fantasmes sur la présence de cyanure, par exemple. Au-delà de la polémique sur les différents types de lacrymos, c’est l’arme en elle-même qui est critiquée par ces organisations. Les grenades lacrymogènes s’attaquent aux yeux, au nez, aux voies respiratoires mais aussi digestives, explique le chimiste André Picot, membre de l’Association toxicologie-chimie. Et ce spécialiste en toxicologie de détailler : "Lorsque le gaz lacrymogène est inhalé, il descend et atteint les bronches. Plus la dose est importante, plus il va profondément dans l’organisme." (...)
"On avait banalisé l’usage des lacrymos dans les manifestations. Même du côté des manifestants, cela faisait en quelque sorte partie du folklore. Aujourd’hui, l’utilisation des lacrymogènes est devenue très inquiétante, accuse Pascal Gassiot. Ce n’est pas fait pour disperser les gens, c’est fait pour faire mal. Ça casse les gens sur place."