
« Sauvez-nous et nos enfants » : à travers des témoignages glaçants, des femmes dénoncent l’inefficacité de la justice et cherchent à mobiliser l’opinion.
Quelle issue reste-t-il à des femmes laissées à la merci de leurs bourreaux par la justice ? Peut-être les réseaux sociaux. Depuis plusieurs mois, des comptes Twitter multiplient les messages de détresse, photos et enregistrements à l’appui.
Virginie (@FaraldoVirginie) a diffusé les images de la porte de son appartement défoncée par son ex-conjoint, condamné pour violences. (...)
Ces femmes reprochent toutes au système judiciaire d’être inefficace, voire d’aggraver leur situation. Nous avons rencontré deux d’entre elles.
« Je me voyais partir, je suffoquais »
Laura, 31 ans, rencontre son ex-conjoint en 2013. Après de premières violences, elle le quitte en septembre 2014, puis retourne vivre avec lui. Elle tombe rapidement enceinte, mais à partir de mai 2015, les coups pleuvent de nouveau. Selon plusieurs enquêtes, les violences conjugales tendent à commencer ou à s’aggraver durant les périodes de grossesse.
Par honte, « bloquée » avec son enfant à naître, elle garde le silence. Les violences s’aggravent encore après son accouchement. La police lui conseille de porter plainte, son compagnon menace de la tuer si elle part. La situation bascule dans la nuit du 16 au 17 avril 2018.
« Il est rentré [ivre], je lui ai demandé de partir, il m’a dit : “Je vais te tuer”, il a répété ces mots et il m’a étranglée à plusieurs reprises. [...] Ma fille s’est réveillée, elle hurlait, j’ai vu la mort dans les yeux de ma fille. [...] [Puis] il a pris ma tête et l’a éclatée contre le mur, par terre, je suis tombée. [...] Je me voyais partir, je suffoquais, c’était l’horreur... Et là, les voisins ont frappé à la porte et il s’est arrêté », se souvient Laura.
Elle est emmenée à l’hôpital en état de choc ; les policiers l’encouragent à nouveau à porter plainte. Rapidement, son conjoint est poursuivi pour tentative de meurtre et placé en détention provisoire. (...)
« J’ai hurlé, mon père s’est retourné et il est parti. J’ai eu la peur de ma vie. Au commissariat, on m’a dit qu’il allait être remis en détention, mais il ne s’est rien passé. La juge était toujours injoignable. J’ai appelé la greffière, j’ai dit : “Cet homme va me tuer”, elle m’a envoyé balader. J’ai ensuite appris qu’il avait appelé la mairie pour chercher l’école de ma fille, j’avais peur qu’il l’enlève. En deux mois et demi, la juge d’instruction n’a jamais répondu », accuse Laura. (...)
« Les juges aux affaires familiales interprètent trop souvent les classements sans suite ou les absences de plaintes comme une absence de violences, ou ne se prononcent pas sur les éléments qui montrent que la violence est présente, alors que la loi le leur permet. Or le maintien d’un droit de visite pour un homme violent engendre le maintien des violences envers la mère et les enfants. (...)
« Dans la formation continue des magistrats, il est conseillé de donner l’autorité exclusive au parent victime en cas de violences conjugales. Mais en pratique, ça se fait très peu. Ce qui joue aussi chez les JAF, c’est la représentation “idéale” que les magistrats se font parfois de la famille, l’idée répandue qu’une fois séparés, le couple parental existe indépendamment de ce qu’a vécu la famille, ce qui est un peu illusoire », analyse une source judiciaire. (...)
Même dans les cas de violences physiques répétées, l’agresseur peut toujours invoquer son désir de changement, sa paternité pour diminuer sa peine », constate Pierre-Guillaume Prigent. « Les peines dépendent de la qualification des faits, de la personnalité de l’auteur, de la gravité des violences et de la subjectivité du juge », fait remarquer notre source judiciaire. (...)
« La justice va souvent privilégier la coparentalité, demander à la victime de “s’entendre” avec l’agresseur. »
Pierre-Guillaume Prigent, chercheur en sociologie (...)
« Grâce à Twitter, il y a une prise de conscience »
En l’absence de réaction de la juge d’instruction, Laura décide, sur les conseils de proches et d’autres femmes, d’ouvrir un compte Twitter. Elle espère ainsi se faire entendre des responsables politiques et des journalistes.
Rapidement, une « chaîne de solidarité » se met en place. En l’espace de quelques jours, plusieurs médias racontent son histoire et Laura est contactée par le cabinet de la secrétaire d’État Marlène Schiappa.
La semaine suivante, son ex-compagnon est à nouveau placé en détention provisoire. La juge d’instruction, contre qui Laura a porté plainte, a néanmoins requalifié les poursuites en « violences aggravées ». Selon Laura, le procureur souhaiterait faire appel de cette décision. (...)
Le chercheur rappelle également que la majorité des femmes victimes de violences ne portent pas plainte car elles sont sous emprise : les hommes violents les isolent, les surveillent –notamment grâce aux nouvelles technologies– et les menacent.
Par ailleurs, certaines femmes témoignent avoir été culpabilisées, voire maltraitées, ou avoir subi un refus (illégal) lorsqu’elles ont voulu déposer plainte –comme en atteste le Tumblr Paye ta police.
« Souvent, il y a classement sans suite parce que la victime veut retirer sa plainte, alors qu’on sait que la sortie des violences est un processus long, avec des rechutes. De plus, la plupart du temps, les décisions du procureur sont prises sur la base d’un compte rendu de l’enquêteur ; il est donc très dépendant du récit fait par le policier », précise notre source judiciaire. (...)
« Il me semble nécessaire de ne plus considérer comme délictuelles les situations où la mère ne présente pas les enfants en vue de les protéger. »
Pierre-Guillaume Prigent, chercheur en sociologie (...)
Avec leurs avocates, Laura et Fanny œuvrent aussi à l’élaboration d’une plainte collective, afin de faire condamner l’État pour ses défaillances dans la prise en charge des violences intrafamiliales. Faudra-t-il en arriver là pour que le gouvernement prenne au sérieux les 304 féminicides perpétrés depuis l’élection d’Emmanuel Macron ?