
L’État et des collectivités locales ont été condamnés, le 27 juin dernier, pour des faits de discriminations et pour violations des droits des enfants roms. Un vrai-faux procès organisé par les associations intervenant sur les bidonvilles de France. Le Premier ministre n’a pas daigné être présent ; nous oui.
« Manuel Valls est-il dans la salle ? », demande la juge Simone Gaboriau, avec sa robe rouge bordée d’hermine. Non. Le premier ministre n’a pas répondu à sa convocation, samedi, devant le « tribunal d’opinion ». Une juridiction quelque peu spéciale, qui a rendu la justice dans un amphi de l’université de Saint-Denis, à l’initiative du collectif CNDH-Romeurope, de RESF, de la FSU, de SUD et d’une quinzaine d’associations de soutien aux familles vivant dans les bidonvilles. « L’État français est cité à comparaître pour avoir gravement discriminé les enfants roms », précise l’acte d’accusation, long d’une dizaine de pages. L’huissier, qui le lit à voix haute, est membre du Syndicat de la magistrature, tout comme celle qui préside cette audience, des plus solennelles. Me Julie Bonnier, défenseure bien connue des familles roms, a elle été « commise d’office » pour plaider la cause, une fois n’est pas coutume, du premier ministre et des collectivités locales.
« Cela n’a rien d’un simulacre, prévient la juge Simone Gaboriau. Il s’agit d’un vrai procès. Symbolique, certes, mais sérieux. » (...)
La situation des enfants roms n’est pas qu’une question sociale et politique, reprend la juge, il s’agit d’abord d’une violation de droits, de droits fondamentaux qui ne sont pas respectés. »
À commencer par celui des enfants roms à l’éducation. (...)
Manuel Valls n’avait-il pas expliqué que les Roms « n’avaient pas vocation à s’intégrer », eux qui ont « des modes de vie extrêmement différents des nôtres » ? « C’est pas vrai », répond Denise, élève en CM1 de l’école Marie-Curie. « Tous les enfants aiment lire et apprendre, parce qu’ils veulent faire un métier », assène la fillette, emballée par le recent voyage effectué avec ses camarades de classe. Mais il y a des maires pour s’opposer à cette belle démonstration de vivre-ensemble. « “Jamais tu mets ton enfant dans l’école”, m’a dit la maire de Bièvres (Essonne), quand on s’y est installés », raconte une jeune mère de famille. (...)
Les expulsions à répétition bafouent aussi les droits à la vie familiale, au respect du domicile, au logement, rappelés à la France avec force par la Cour européenne des droits de l’homme, en octobre 2014. Le non-raccordement à l’eau et à l’électricité des terrains occupés continue de mettre gravement en danger les enfants, déplore aussi Manon Filloneau, du collectif Romeurope. « Faute d’électricité, on s’éclaire à la bougie. Trois enfants sont morts dans des incendies, rien que ce mois-ci. C’était le 2 juin, à Montreuil. Le 7 juin, à Carrières-sous-Poissy. Le 8, à Lille. »
Des drames complètement passés sous silence, tout comme les insupportables entraves aux droits à la santé des 9 000 mineurs ayant le malheur de vivre dans les bidonvilles de l’Hexagone. Un enfant s’est ainsi retrouvé sous un Abribus, la nuit, un mois seulement après être sorti d’un service de réanimation. (...)
Le tribunal, après s’être retiré, a reconnu l’État français et les collectivités locales coupable de discrimination. Mais il a refusé de prononcer une peine immédiate. « Plutôt que de prononcer une sanction symbolique qui ne serait pas à la hauteur des enjeux (…), le tribunal ajourne le verdict au 1er juillet 2016. Entre-temps, il enjoint à l’État et aux collectivités locales de prendre toutes les mesures de nature à faire cesser les infractions », proclame la sentence finale. « À quoi nous sert de condamner l’État et ses responsables, quand on sait qu’ils ne font que répondre de façon démagogique à une forme de l’opinion, avait aussi déclaré Me Leclerc, dans sa plaidoirie. Il faut donc changer l’opinion, et c’est que nous faisons avec ce tribunal. »