
En novembre, les Nations unies ont appelé les États à suspendre les renvois vers Haïti en raison d’une aggravation de la crise sociale, politique et sanitaire dans le pays. Pourtant, la France poursuit sa politique de rétention des Haïtiens et a déjà expulsé au moins 12 ressortissants vers leur pays d’origine depuis novembre.
"La violence, et notamment les violences sexuelles, les enlèvements, les pillages et les barrages routiers opérés par des bandes armées, ainsi que la récente épidémie de choléra, ont exacerbé une situation humanitaire déjà très grave en Haïti", explicite le HCR. Aux yeux du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, il s’agit de la "pire situation des droits de l’homme et humanitaire depuis des décennies".
Le collectif Migrants Outre-Mer (Gisti, Médecins du monde, La Cimade, Ligue des droits de l’Homme...), aux côtés d’associations guadeloupéennes, martiniquaises et guyanaises, dénonce la poursuite de ces expulsions. Cela "revient concrètement à précipiter les personnes concernées dans un contexte de violences généralisées où leur vie est en danger", ont affirmé les organisations dans un communiqué commun paru le 16 février.
"Continuité" de la politique migratoire vis-à-vis des Haïtiens
Les Haïtiens représentaient la première nationalité placée au centre de rétention administrative (CRA) de Guadeloupe en 2022. Ils étaient 139, sur un total de 408 retenus. Parmi eux, 36 ont été éloignés vers leurs pays d’origine cette année-là.
"On est sur une continuité, voire sur une reprise post-covid, de ces éloignements", avance Pauline Râï, responsable régionale de la rétention pour les Amériques et l’Océan Indien pour La Cimade. "On n’a pas du tout vu de changements depuis le communiqué de l’ONU en novembre, les chiffres le montrent bien." (...)
La Cour européenne des droits de l’Homme saisie
Interrogé sur la poursuite de cette politique malgré les consignes des Nations unies, le ministère de l’Intérieur n’a, pour l’heure, pas répondu à nos questions. Quant au préfet de Guadeloupe, ses services nous indiquent qu’il "ne souhaite pas s’exprimer sur ce sujet". (...)
La Cimade a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme "à plusieurs reprises" ces derniers mois sur des renvois d’Haïtiens, indique Pauline Râï. Mais seule une personne a obtenu que la Cour annule son expulsion. En parallèle, les recours s’enchaînent auprès des tribunaux administratifs. Mais "il n’y a pas de prise en compte de la crise actuelle en Haïti", regrette la responsable de La Cimade. "C’est une volonté politique de poursuivre à tout prix les éloignements de ces ressortissants, sans prise en considération des risques."
Des transferts depuis la Martinique
Les Haïtiens placés au CRA de Guadeloupe proviennent, pour un grand nombre, de Martinique ou de Saint-Martin. Sur ces territoires, il n’existe pas de CRA mais seulement des locaux de rétention. (...)
Nombre d’Haïtiens, ni expulsables ni régularisables, se retrouvent donc dans une "situation de blocage généralisée", décrit l’avocat.
Droit au séjour
Dans son communiqué, le HCR demande la garantie d’un accès à la procédure d’asile, ou à des protections complémentaires, comme l’admission exceptionnelle au séjour à titre humanitaire. "Le droit d’asile pour les Haïtiens, c’est extrêmement rare", rappelle Mary Ann Bleny, co-secrétaire générale de l’ASSOKA.
Il existe bien d’autres façons d’obtenir un droit au séjour : la demande par le travail ou encore l’admission exceptionnelle à titre humanitaire... Mais pour ces catégories, "la préfecture a un pouvoir discrétionnaire qu’elle utilise amplement en défaveur des étrangers", juge la responsable associative. Ainsi, "cela devient aussi de plus en plus difficile d’obtenir des titres de séjour pour enfants malades", présente-t-elle. (...)