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Ligue des Droits de l’Homme
Demande d’entretien sur la question de la justice des mineur-e-s (en lien avec la Loi de Programmation Justice 2018-2022)
Lettre d’interpellation de plusieurs associations, dont la LDH, à l’attention de la ministre de la Justice Paris, le 20 décembre 2018
Article mis en ligne le 21 décembre 2018

Madame La Ministre de la Justice,

Nous sollicitons un entretien le plus rapidement possible, d’une part sur les points attenants à la justice des mineur-e-s intégrés dans le projet de loi de finances 2019, principalement la création de 20 nouveaux centres fermés pour mineur-e-s, d’autre part sur l’habilitation que vous avez obtenue de la part des parlementaires, dans le cadre du projet de loi de programmation de la justice 2018-2022, pour réformer la Justice des enfants par voie d’ordonnances.

En effet, cette annonce de dernière minute, alors qu’il n’était plus possible de déposer des amendements et sans attendre le rapport de la mission des députés sur la Justice des mineur-e-s, nous inquiète fortement. Elle s’apparente, selon nous, à un passage en force du gouvernement sur un sujet essentiel et sensible qui nécessite au contraire un véritable débat démocratique inscrit dans le temps.

Dans vos premières déclarations, vous évoquez l’idée de juger plus vite les mineur-e-s « sans angélisme, ni démagogie » et d’apporter une réponse « plus prompte » aux victimes. Pourtant, vous n’êtes pas sans savoir qu’au fil du temps, l’ordonnance du 2 février 1945 a été profondément modifiée et que ces évolutions ont surtout eu pour effets d’afficher une plus grande sévérité à l’égard des mineur-e-s, par des procédures accélérées et un traitement tendant à se rapprocher de celles des majeur-e-s. Le principe de responsabilisation à outrance de l’enfant est venu progressivement suppléer ceux de protection et d’éducation qui sont pourtant les principes fondateurs de la Justice des enfants. Le décentrage au pénal des missions de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), le postulat de la réponse pénale à chaque acte, ainsi que la pratique bien trop répandue du déferrement participent au développement de cette tendance et au recours de plus en plus fréquent au contrôle judiciaire, plutôt qu’à des mesures éducatives. La première des conséquences est l’augmentation constante de l’enfermement des mineur-e-s. (...)

Dans vos choix budgétaires ensuite, vous actez une évolution délétère de la justice des enfants et adolescent-e-s, en consacrant des moyens exorbitants à l’enfermement au détriment des services éducatifs et d’insertion de milieux ouverts. Vous vous refusez à donner aux tribunaux des moyens à la hauteur des enjeux, qui impliquerait de combler les vacances de postes de fonctionnaires et magistrats outre les nécessaires créations de postes qui permettraient de lutter contre la surcharge des cabinets, d’assurer la présence de greffier-e-s aux audiences d’assistance éducative, et plus globalement des conditions matérielles d’accueil et d’exercice dignes. Nous ne nous en étonnons guère tant cette logique irrigue déjà le projet de loi de programmation de la Justice, qui organise le démantèlement du service public de la justice, éloigne les justiciables et aggrave les inégalités devant la Justice.

Tandis que la délinquance juvénile n’a pas augmenté depuis 15 ans, nos organisations interpellent votre ministère depuis mai 2017, sur l’augmentation notable de l’enfermement des enfants, notamment depuis octobre 2016.

Notre alerte vous a conduit à saisir la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) qui a rendu un avis le 27 mars 2018 portant notamment un regard extrêmement critique sur les centres fermés. Elle rappelle le coût exorbitant de ces structures (690 euros du prix de journée, par jeune), tout en en soulignant les dysfonctionnements réguliers, parfois graves, entraînant des fermetures administratives (6 en 2017). (...)

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) fustige également les centres fermés pour mineur-e-s dans son rapport d’activité pour 2017 en rappelant les faiblesses déjà identifiées (...)

Cette année encore, les dysfonctionnements graves, ayant entraîné ou susceptibles d’entraîner des fermetures administratives dans ce type de structure sont nombreux, par exemple à Beauvais, la ferme de Fragny, à Dreux, Pionsa ou encore Epinay sur Seine.

Enfin, le 28 septembre 2018, la mission sénatoriale d’information sur la réinsertion des jeunes enfermé-e-s reconnaît que les centres fermés sont devenus des « antichambres » de la prison (...)

En faisant le choix de légiférer par ordonnance, vous déniez aux professionnel-le-s engagé-e-s, forts de leurs expériences et de leur savoir-faire, la capacité d’intervenir dans le processus démocratique, vous manquez de considération pour les jeunes, et notamment celles et ceux les plus en difficultés. Vous devez entendre les différentes organisations signataires de ce texte et même au-delà, car il s’agit d’un sujet trop sérieux pour ne pas prendre le temps des échanges et du débat au sein de la société civile, dans son ensemble : « La France n’est pas assez riche de ses enfants pour en négliger un seul ».