
Les 88 salariés de l’usine d’Argenteuil (Val-d’Oise) se battent pour ne pas voir fermer ce haut lieu de la culture ouvrière, dont la production est transférée en Pologne et en Chine.
Les braises de la révolte sont ardentes chez Semperit. Chaque semaine, au mois de juillet, les ouvriers ont organisé « les jeudis de la colère », avec banderoles et braseros, devant leur usine d’Argenteuil (Val-d’Oise). Il faut dire que la période estivale a démarré par un coup de bambou. Le 30 juin, ils ont appris lors d’un comité d’entreprise extraordinaire que ce site de fabrication de bandes transporteuses (tapis roulants) pour les mines était condamné et leur activité, délocalisée en Pologne. La surprise a été d’autant plus grande pour les 88 salariés et sous-traitants que, deux mois plus tôt, Sempertrans France Belting Technology (SFBT), filiale du groupe autrichien Semperit, leur tenait un tout autre discours. « Le directeur avait fait notre apologie, disant que tout allait bien, que notre activité était très spécifique, comme nous produisons des bandes haut de gamme », s’agace Daniel Issaadi, secrétaire administratif CGT du CE. Avant de lâcher : « À part Dassault, il n’y en a plus des usines comme ça dans la ville, on a donc décidé de ne pas rester les deux pieds dans le même sabot. »
L’onde de choc passée, les employés ont enfilé leurs tee-shirts sérigraphiés « Non aux licenciements boursiers » et ont bloqué tous les jeudis la zone industrielle.(...)
« Je revois encore un responsable prendre une photo de mes outils pour faire fabriquer les mêmes en Chine, il y a quatre ou cinq ans, se remémore Cherif Hammane, délégué du personnel CGT et chef de presse depuis dix-huit ans. Quand je lui posais des questions, il nous disait de ne pas nous inquiéter, mais ils ont fini par nous pousser à notre perte ! » (...)
Tous refusent de tourner la page d’une histoire industrielle presque séculaire. À l’origine, un centre de réparation pour locomotives était niché sous ses poutres. Puis la marque de pneumatiques et de caoutchouc manufacturé Kléber-Colombes a pris ses quartiers dans les années 1950, l’activité a ensuite continué sous l’égide de Michelin, avant que l’entreprise ne soit rachetée à la fin des années 1980 par le groupe autrichien Semperit, également leader mondial du gant médical. (...)
Plus que jamais remontés, les salariés ont déjà réussi à faire reculer le géant autrichien. La direction, qui voulait entamer immédiatement la procédure de plan social malgré la fermeture de l’usine en août, a dû prendre son mal en patience. « On l’a repoussé, à chaque réunion on a claqué la porte, on ne veut pas en entendre parler », tranche Hassan Abbadi. Semperit devra aussi répondre de ses actes devant la justice. Le groupe a été assigné devant le tribunal de grande instance de Pontoise pour défaut de consultation annuelle du comité d’entreprise sur l’orientation stratégique, une obligation légale depuis 2015. Le délibéré sera rendu le 30 août. Les employés, eux, sont déjà prêts à remettre la gomme à la rentrée.