
Eloi Laurent s’est fait ces derniers temps une spécialité de petits livres à la fois critiques et anti-déclinistes. Il poursuit dans cette veine avec ce nouvel ouvrage, où il nous enjoint à nous détacher de la croissance pour lui substituer l’objectif du bien-être, résilient et soutenable.
Le livre s’ouvre pourtant sur un constat particulièrement sombre : le développement humain, tel que nous le connaissons, s’accompagne désormais de dégradations environnementales toujours plus fortes, qui finiront par avoir raison de notre récente et fragile prospérité.
La remontée des inégalités, désormais bien documentée (« Quantité d’études montrent ainsi l’écart béant qui s’est formé entre la croissance économique (…) et la progression du revenu des personnes » ), met à mal l’idée que la croissance économique profiterait à tous. « Quant aux dimensions plus complexes du bien-être comme la santé ou la qualité des institutions (libertés civiles et droits politiques, par exemple), il est possible de montrer que la croissance du PIB peut coïncider avec leur dégradation. » . De fait, « une attention insuffisante (des politiques économiques) portée au bien-être, en particulier à la santé, entraîne des coûts sociaux considérables » . « La croissance n’est pas la condition du bien-être, elle en est bien plutôt la résultante. »
Le développement humain doit encore pouvoir être mis à l’abri des risques et être (ré)concilié avec la contrainte écologique. C’est tout l’enjeu de la résilience d’une part et de la soutenabilité d’autre part. (...)
Pour une transition social-écologique
Mais repenser la prospérité ne suffit pas. Il convient de lier ensemble ces perspectives au sein d’un nouveau récit commun positif (pour mettre en mouvement la communauté des citoyens), explique l’auteur ; celui d’une « transition social-écologique » qui lierait soutenabilité et justice intragénérationnelle et intergénérationnelle.
Le capital, sous ses différentes formes, ou le patrimoine de l’humanité, que se transmettent les générations humaines, « est accaparé à chaque génération par certains pays et/ou groupes sociaux au détriment des autres […] On ne peut donc comprendre l’enjeu de la soutenabilité sans saisir l’enjeu de justice qu’il recèle (et donc) sans penser ensemble la question sociale et la question écologique » . Or c’est précisément quelque chose que laissent de côté les deux modèles contemporains les plus influents de compréhension des crises écologiques, la théorie de l’Anthropocène comme l’approche par les « limites planétaires », note Laurent. (...)
face aux crises écologiques, les humains ne sont égaux, ni en termes de responsabilité, ni en termes de vulnérabilité. »
L’auteur précise alors les formes concrètes que pourrait prendre cette préoccupation dans trois domaines-clés : la lutte contre les inégalités, la promotion de l’emploi et de la santé et la réinvention de la protection sociale.
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Notre chance cependant, si l’on suit l’auteur – c’est précisément là ce qui donne son titre au livre, Notre bonne fortune – c’est que ce qu’il faudrait faire pour prévenir la catastrophe pourrait emprunter la forme d’un grand récit, comme le progrès social en son temps, lui donnant ainsi une énorme puissance d’entraînement pour mettre en place les institutions nécessaires (car rien ne se fait au plan social sans institutions). L’ouvrage demande une attention soutenue (et il aurait sans doute pu être écrit de manière plus simple), mais on est payé de ses efforts. Il invite à se replonger dans un ouvrage précédent d’Eloi Laurent, Le Bel avenir de l’Etat-providence, qui n’avait peut-être pas retenu toute l’attention qu’il méritait.