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Contretemps
Défendre l’élevage, un choix politique
Jocelyne Porcher (INRA-SAD Montpellier) a notamment publié : Vivre avec les animaux, une utopie pour le 21ème siècle, Paris, éd. La Découverte, 2011 ; Une vie de cochon, Paris, éd. La découverte, 2010.
Article mis en ligne le 8 septembre 2012
dernière modification le 4 septembre 2012

L’élevage ne détruit pas l’environnement, au contraire il participe à créer un environnement viable pour des humains et pour des animaux. Ce qui détruit l’environnement, ce sont les systèmes industriels et intensifiés.

(...) qu’est-ce que l’élevage ? C’est un rapport de travail multimillénaire avec les animaux. Depuis dix mille ans, et peut-être plus, nous vivons et nous travaillons avec des animaux. C’est-à-dire que, pour pouvoir vivre, nous transformons la nature et le monde, et cela avec les animaux. C’est avec les animaux que nous avons construit les sociétés humaines. (...)
Haro sur le baudet donc, ce pelé, ce galeux d’où vient tout notre mal.

Afin de rompre avec cette calamité environnementale, sanitaire et animale que constituerait l’élevage, deux types de solutions sont proposées. 1° Industrialiser plus et mieux. C’est-à-dire délocaliser les productions des zones saturées vers des zones propres, techniciser la production, intensifier écologiquement. C’est ce que propose la FAO. 2° Devenir végétarien, comme nous y sommes lourdement conviés par les philosophes et les défenseurs de la « cause animale ».

Je vais développer ces deux points. Le premier en mettant en évidence les différences entre Elevage et Productions animales, le second en montrant que la promotion du végétarisme dit éthique par les mouvements de libération animale fait singulièrement cause commune avec les biotechnologies et le capitalisme industriel et financier qui visent à consacrer la rupture entre les animaux et nous. (...)

Le végétarisme éthique pour les uns, les purs, et la viande in vitro pour les autres, les masses populaires. Ou comment avoir les mains propres tout en les trempant dans le lisier.

Un mot sur le végétarisme. Je le précise car cela m’est reproché systématiquement, je n’ai rien contre une personne qui choisit d’être végétarienne et qui est consciente que son choix ne change rien à la condition des animaux. Par contre, j’adresse des critiques aux groupes et associations qui prônent le végétarisme comme une vertu. Les végétariens n’ont pas les mains plus propres que les autres. Ils ne mangent pas de viande, mais la plupart consomment des produits laitiers et des œufs. Or, produire du lait ou des œufs, c’est indirectement et nécessairement produire de la viande. Derrière le lait, il y a le veau et la vache de réforme. Derrière l’œuf, il y a la poule. Et si les végétariens peuvent consommer du lait et des œufs sans consommer de viandes, c’est parce que d’autres la consomment. Ils délèguent simplement la responsabilité de la mort des animaux à d’autres.

Ce rapport mortifère aux animaux a des conséquences graves pour les personnes qui travaillent dans ces systèmes. Tout d’abord parce que la souffrance des animaux est cause d’une souffrance éthique chez les travailleurs, c’est-à-dire celle qu’on éprouve à faire souffrir, et mes enquêtes ont montré combien les femmes notamment étaient touchées par cette souffrance. Ensuite parce que contre la souffrance, les personnes se blindent, et ainsi consentent à faire le travail qui est attendu d’eux 2. Se blinder contre la souffrance permet de tenir la souffrance, et la pensée, à distance, et de réduire le travail à une rationalité instrumentale : c’est-à-dire comme l’expriment de nombreux salariés de « produire à tout prix et à n’importe quel prix ». (...)

Voilà donc où nous en sommes dans cette histoire de « bien-être animal » et de « libération animale ». Du bizness, des biotechnologies, des gros sous, fort peu de morale en vérité. Et surtout où sont les animaux dans cette histoire ? Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

Nous en sommes là parce que toute cette affaire s’est construite depuis 30 ans sans référence à la question du travail. Et de facto, sans faire la différence entre la relation de travail qui unit un éleveur et ses animaux et l’exploitation forcenée des animaux et d’eux-mêmes à laquelle sont contraints les éleveurs et les salariés. (...)

s’interroger sur le sort des animaux au travail dans les systèmes industriels, c’est s’interroger sur le sort des travailleurs. Dans les porcheries, il y a des cochons, et il y a des gens. Ils vivent dans les mêmes bâtiments, ils respirent les mêmes poussières et travaillent au même rythme. Ils subissent une seule et même violence.
(...)

S’intéresser au travail, c’est d’abord reconsidérer la place des animaux dans le travail. Et pour cela il faut je pense commencer par reconsidérer nos façons de penser les processus de domestication. Les processus domesticatoires sont en effet majoritairement analysés comme des processus d’appropriation et d’exploitation des animaux. (...)