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LA PLUME D’UN ENFANT DU SIÈCLE
De la nécessité d’imposer un clivage capitalisme/écosocialisme
Article mis en ligne le 29 novembre 2017

Il y a une dizaine de jours, à la tribune de l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon a prononcé un discours bref mais puissant sur la question de la dette. Exhortant ses collègues députés à sortir de la vision simpliste du « il faut réduire la dette » et remettant en perspective ladite dette par rapport à la date d’échéance des obligations émises par la France, le président du groupe La France Insoumise a assurément tenté de faire entendre une autre voix que celle, dominante à l’heure actuelle dans le marigot politicien, qui ne pense qu’à réduire la dette et le déficit en amputant les services publics de tout moyen ou presque et en tapant allègrement sur les plus dominés de notre société. Tout au long du week-end dernier, La France Insoumise a organisé sa première convention depuis les échéances électorales du printemps dernier.

En réunissant 1600 personnes à Clermont-Ferrand, le mouvement né il y a presque deux ans a montré qu’il commençait à se structurer et qu’il continuait ce travail réflexif entamé depuis sa création. Symboliquement, d’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon ne s’est exprimé qu’au début de la convention, un peu comme s’il voulait signifier qu’il passait le relais aux militants. Avant la convention, les membres de la France Insoumise étaient invités à voter pour choisir les trois grandes campagnes nationales qui importaient le plus. Les 69 000 votants ont décidé de mettre en tête la lutte contre la pauvreté, suivie de la sortie du nucléaire et de la lutte contre la fraude fiscale. Ces trois thèmes symbolisent, à mes yeux, parfaitement les impasses dans lesquelles risquent de s’enfermer le mouvement s’il n’accepte pas d’aller au bout des choses et d’imposer un nouveau clivage politique dans notre pays.

Aller au bout des choses

« Il est aisé d’être logique. Il est presque impossible d’être logique jusqu’au bout » écrivait Camus dans Le Mythe de Sisyphe. Il me semble que cette phrase du philosophe franco-algérien s’applique actuellement pleinement à Jean-Luc Mélenchon et à la France Insoumise. En relisant récemment le programme du mouvement – pour lequel j’ai voté lors du premier tour de la dernière présidentielle – et en écoutant ses députés qui, il faut bien le dire, abattent un boulot monstrueux puisque l’opposition toute entière ou presque repose sur leurs 17 épaules, je me suis rendu compte d’une chose. Ce projet, s’il est assurément une amélioration par rapport au modèle qui est actuellement en place, reste au milieu du gué. Il va soit trop loin soit pas assez. Il met, certes, en avant sa volonté de mettre en place un écosocialisme mais il se contente bien trop souvent de penser dans le cadre actuel, de penser différemment évidemment mais de penser dans le cadre actuel.

C’est précisément le plus grand des défis puisque cela signifie qu’il ne faut pas, comme l’explique brillamment Geoffroy de Lagasnerie, confondre les pensées critique et oppositionnelle. Une pensée critique, même juste et corroborée par des faits, peut paradoxalement conduire à une perpétuation du système en place dans la mesure où celle-ci se borne à penser dans le cadre sans le remettre en cause. C’est cela que nous devons éviter afin de parvenir à une pensée oppositionnelle qui en se cantonne pas à critiquer les évènements ayant lieu dans le cadre mais le cadre lui-même. Dans le cas de L’Avenir en commun, il va dans le bon sens mais ne constitue pas de rupture radicale avec l’ordre en place. (...)

Pour pouvoir mettre réellement en place ce que propose son projet, la France Insoumise doit sortir du capitalisme et accepter la confrontation frontale avec un modèle qui ne lui fera aucun cadeau. Lutter contre la pauvreté de manière ambitieuse, sortir du nucléaire et lutter contre la fraude fiscale nécessitent en effet de sortir radicalement de ce modèle économique, pas de l’amender à la marge. (...)

Je suis bien plus enclin à croire que la mise en place d’un clivage capitalisme/écosocialisme permettra d’aboutir à des victoires à l’avenir. (...)

Si l’imposition d’un tel clivage dans le débat public me parait si importante aujourd’hui, c’est que je crois fermement que nous sommes dans un temps où il est possible de le faire. Il y a quelques années voire quelques mois, il était encore bien compliqué ne serait-ce que de penser à l’embryon d’un tel clivage. Désormais, toutefois, le macronisme pédant et arrogant éclate à la figure de tout le monde, aucune opposition digne de ce nom hormis la France Insoumise n’est présente et les résultats désastreux socialement et en termes d’inégalités de la politique menée par Macron ne tarderont pas à se faire sentir. (...)

Je crois qu’il est aujourd’hui temps de bouleverser radicalement les clivages politiques de ce pays si nous voulons, à gauche, continuer la bataille culturelle réenclenchée par les candidatures de Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. (...)

Après avoir été sur la défensive pendant des décennies, il nous faut repartir à l’offensive comme le défend Bernard Friot. Imposer un tel clivage me parait être un préalable nécessaire. Alors oui, sans doute la pusillanimité ou la volonté de ne pas perdre l’électorat déjà acquis peut faire peur à certains en se disant qu’imposer un tel clivage fera peur mais je crois que sur le long terme les gains seront bien plus grands que les pertes et que, stratégiquement, c’est la meilleure des choses à faire. La bataille culturelle a été réenclenchée, il faut désormais la mener à une autre échelle, bien plus macro. Dans un entretien à Regards, Monique Pinçon-Charlot, expliquait que la seule ligne de fracture qui était pertinente était l’acceptation ou pas du capitalisme. Il est grand temps de faire rejaillir cette ligne de fracture.

Submerger le FN

L’autre principal bienfait – lié en réalité à cette bataille culturelle – qu’aurait l’imposition de ce nouveau clivage, serait assurément la submersion assurée du Front National. Je l’ai dit à de nombreuses reprises, le FN est un leurre, sans doute le leurre le plus puissant du capitalisme néolibéral financiarisé dans notre pays. En promouvant un discours social de façade qui s’adresserait aux petits, aux humiliés de la mondialisation, le parti d’extrême-droite capte une colère, une peur et un désespoir qui existe mais qui se dirige bien trop souvent sur les mauvaises personnes. Je l’ai également dit à de nombreuses reprises, je crois que la clé fondamentale pour réussir à imposer un autre modèle est de réussir à réunir personnes issues des quartiers populaires et personnes rurales ou semi-rurales qui ont les mêmes intérêts mais qui sont aujourd’hui divisés selon la célèbre maxime disant qu’il faut diviser pour mieux régner. (...)

Imposer un clivage capitalisme/écosocialisme c’est aussi et avant tout placer le débat public sur des questions économiques et sociales. C’est donc sortir du débat rance autour de l’identité et de l’Islam, débat sans lequel le Front National ne saurait réellement exister. Nous l’avons en effet vu au cours des mobilisations sociales contre la loi El Khomri ou les ordonnances de Monsieur Macron, le FN disparait subitement dès qu’il s’agit de parler de questions sociales, précisément parce que son discours de façade lui permet des gains électoraux mais que dans le fond il est du côté des patrons. Imposer ce nouveau clivage c’est donc pulvériser le discours de façade du FN et montrer qu’il est bel et bien du côté des grands patrons.

Imposer ce nouveau clivage n’est donc pas une question de cosmétique ou d’apparat. Au contraire, l’imposition de ce clivage est la condition sine qua non à la victoire future. (...)

D’aucuns diront sans doute que c’est une idée folle mais tâchons de nous rappeler qu’une personne avec une idée neuve est considérée comme folle jusqu’à ce que cette idée triomphe selon la phrase de Marcelo Bielsa.