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De Kemal à Occupy Taksim, plongée dans l’histoire pour comprendre les raisons d’un soulèvement
Article mis en ligne le 30 juin 2013
dernière modification le 26 juin 2013

Sur la place Taksim d’Istanbul, les manifestations se succèdent depuis plusieurs semaines, décuplées par les violentes répressions des forces de l’ordre et l’autoritarisme du Premier ministre Erdogan. Un mouvement sans précédent en Turquie, parfois comparé à celui de mai 68, aux Indignés d’Occupy ou aux printemps arabes. Que signifie ce soulèvement d’une partie de la jeunesse ? Quel sera l’impact de cette contestation sur la société turque ? Retour sur un siècle d’histoire, pour comprendre les racines de ce mouvement, ce qui le motive, et à quoi il peut aboutir.

(...) Après quinze jours de contestations, manifestations et violences policières, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a sifflé, une dernière fois croit-il, la fin de la récréation. La police a évacué la place Taksim d’Istanbul et détruit extrêmement brutalement les restes du camp dans le maigre petit bois préservé dit « de la promenade » (Gezi Park), situé juste à coté de la place. Le « dialogue » proposé a tourné court. Erdogan a réuni des dizaines de milliers de supporters à Sincan, un fief électoral de son parti près d’Ankara, puis a fait de même sur le terrain de Kazliçesme à Istanbul, y dénonçant les « traitres » et autres çapulcu (pillards) de Taksim. Des centaines de personnes ont été interpellées, des milliers menacées de poursuites. (...)


De la République autoritaire à « l’État profond »

La République de Turquie a été fondée par Mustapha Kemal « Atatürk » (« père des Turcs ») sur les ruines d’un Empire ottoman effondré après la première guerre mondiale [2]. Atatürk et ses compagnons réussissent, après trois ans de guerre, à rétablir un État dans ses frontières actuelles et à établir un régime républicain autoritaire – avec un parti unique « kémaliste », le Parti républicain du peuple (Cumhuriyet Halk Partisi - CHP) et pour colonne vertébrale l’armée. Ils créent une nouvelle capitale (Ankara), réforment la langue et font adopter l’alphabet latin, développent l’éducation, donnent le droit de vote aux femmes (1929), créent une nouvelle économie… et écrasent les contestations (des religieux, des kurdes). (...)

Cette République kémaliste n’était pas démocratique, mais se voulait « laïque ». Non pas au sens de séparation de la religion et de l’Etat comme la France de 1905, mais au sens de soumission de la religion à l’Etat – comme la France de 1801, celle du Premier consul Bonaparte, modèle explicite d’Atatürk. (...)

Après la deuxième guerre mondiale, la République Turque adhère au bloc occidental : plan Marshall en 1947, Conseil de l’Europe en 1949, OTAN en 1952, association avec l’Union Européenne – à l’époque CEE – en 1963. Le système de parti unique est remplacé par un bipartisme, dans lequel le Parti démocrate (Demokrat Parti - DP) a pu attirer les courants religieux. (...)

L’arrivée au pouvoir du Parti islamiste AKP

Les partis politiques sont interdits pendant plusieurs années, et la nouvelle constitution entérine le pouvoir de contrôle et d’intervention de l’armée sur les affaires publiques. Cette constitution restera en vigueur et inchangée jusqu’à l’arrivée des islamistes au pouvoir au début des années 2000. (...)

Officiellement candidate à l’adhésion européenne à partir de 1987, en union douanière avec elle en 1996, la Turquie connait à la fin du XXe siècle une situation économique chaotique, mêlant développement réel et mal-développement, urbanisation sans contrôle, corruption et exode rural, inflation galopante. Tandis que la guérilla kurde commence à affecter l’est du pays à partir de 1984. C’est dans ce contexte que s’est développé, en dehors du bipartisme post-kémaliste, une nouvelle force explicitement islamiste, dont les organisations seront plusieurs fois dissoutes par la justice mais toujours reconstituées (...)


Le Parti islamiste AKP remporte 34% des voix au législatives de 2002 et, profitant d’une loi électorale originellement concoctée contre lui, rafle la majorité des sièges.
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« L’autre parti » (ANAP), que ce soit avec Menderes, Demirel, Ozal et Mesut Yılmaz [6], ne constitue pas une véritable alternative, et accepte globalement le cadre kémaliste, dont il est d’une certaine manière issu. Il est alors toujours soutenu sur le plan électoral, par certaines régions, par des populations attachées à la religion dans la Turquie profonde ou diverses couches urbaines petites bourgeoises.

La gauche, malgré une certaine existence sociale, intellectuelle, syndicale, malgré l’adhésion de nombreux Alévis, n’a jamais constitué une alternative politiquement crédible. D’abord du fait de la répression qu’elle n’a cessé de subir. Ensuite par ses propres divisions et archaïsmes. (...)

L’AKP s’est affirmé pro-européen. Une fois arrivé au pouvoir, il a cherché à accélérer le processus d’adhésion à l’Union européenne, approuvé par une grande majorité de l’opinion publique. Le gouvernement islamiste accepte certaines conditions démocratiques de l’adhésion, en particulier en matière de liberté d’association, de réforme du code pénal dans un sens moins liberticide, d’une plus grande liberté d’expression et de manifestation, d’un nationalisme moins agressif. Surtout, l’AKP a, comme le lui demande l’Europe, affronté « l’Etat profond », en particulier la haute magistrature (qui cherchait alors à interdire le parti islamiste), l’Etat-major de l’armée et le Conseil de sécurité nationale. Celui-ci, depuis le coup d’Etat de 1980 peut bloquer, censurer, voire renverser le gouvernement. Une grande partie de l’intelligentsia progressiste, de la bourgeoisie libérale et laïque, de la jeunesse, a soutenu l’AKP dans ce combat. En 2007, l’AKP triomphe aux législatives (47% des voix).

Pendant toute cette période en France comme dans la plupart des pays occidentaux, on dénonce « la menace islamiste »… (...)