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De Fillon à Macron : offensive générale contre le principe de précaution aux dépens de la santé publique
Article mis en ligne le 6 mars 2017

Il y a bientôt vingt ans, le Conseil d’État s’appuyait sur le principe de précaution pour empêcher la culture de maïs transgénique en France. Depuis, le principe de précaution est invoqué pour tenter de freiner la banalisation de produits toxiques, des pesticides aux perturbateurs endocriniens, en passant par les nanoparticules. Ce principe est désormais la cible de François Fillon. De son côté, Emmanuel Macron affirme vouloir concilier le principe de précaution avec un « principe d’innovation », s’alignant ainsi sur les exigences de l’industrie chimique, pétrolière ou du tabac et de leurs lobbies. Une manière de neutraliser cet acquis essentiel pour l’environnement et la santé, au profit du libre-marché.

A chaque élection présidentielle, le principe de précaution est remis en débat. « Tous les candidats en parlent, soit pour dire n’importe quoi, soit pour l’attaquer », s’agace Arnaud Gossement, avocat environnementaliste et membre du think tank La Fabrique écologique. François Fillon, dans son programme, annonce vouloir « supprimer de notre Constitution un principe de précaution dévoyé et arbitraire ». Le principe de précaution avait pourtant intégré la Constitution en 2005, par Jacques Chirac alors que la droite était majoritaire au Parlement. « Il nous faut emprunter les voies de l’innovation et du progrès scientifique, ne pas renoncer aux projets d’avenir au nom du principe de précaution, qui sert aujourd’hui de prétexte à l’inaction », ajoute le candidat de la droite et du centre à la présidentielle [1].

« Le présenter ainsi, c’est ne pas avoir compris le principe de précaution qui se révèle être au contraire un principe d’action, réagit Arnaud Gossement. Lorsque l’on est en situation d’incertitude, le principe de précaution encourage la recherche scientifique pour progresser dans la connaissance des risques. » (...)

L’offensive groupée des députés de la droite

François Fillon est loin d’être le seul élu à proposer la suppression du principe de précaution, ou à vouloir en restreindre l’application. Depuis quatre ans, les parlementaires de droite attaquent très régulièrement le principe de précaution. Une succession de propositions de loi déposées par des parlementaires de droite vont dans ce sens. (...)

A chaque fois, ces tentatives échouent.

« Il devient difficile, dans le débat public, de dire du mal de l’écologie. Ces élus le font donc différemment, par des messages vers leur électorat appréciant le fait qu’ils prennent position contre l’environnement », analyse Arnaud Gossement [4]. Le journaliste Roger Lenglet, auteur de plusieurs ouvrages sur des scandales sanitaires, déplore l’attitude de décideurs politiques « sous l’effet permanent de lobbyistes et de think tanks qui leur font croire que si l’on applique le principe de précaution, l’économie française sera paralysée. Les décideurs politiques pensent que les craintes sanitaires relèvent du domaine de l’irrationnel et des émotions populaires », confiait t-il à Basta !. « Dans la plupart des cas, leur niveau de culture en santé publique est nul. »

Macron pour un « principe d’innovation »

En France, le début de l’offensive contre le principe de précaution remonte à 2007 avec la création de la Commission Attali, chargée par Nicolas Sarkozy de fournir des propositions pour relancer la croissance (...)

Emmanuel Macron était rapporteur général adjoint de la commission Attali. « Depuis cette date, il n’est pas sorti de l’ambiguïté, observe Arnaud Gossement. Il affirme d’un côté ne pas vouloir supprimer le principe de précaution, tout en disant vouloir le concilier avec le principe d’innovation [6]. « Rebaptiser le principe de précaution, c’est vouloir supprimer son contenu, le neutraliser, alerte Arnaud Gossement. C’est plus fin que la charge de Fillon et c’est là qu’est le danger. »

Quelles seraient les conséquences, si cette offensive en faveur du « principe d’innovation » aboutissait ? « Ce serait une mauvaise nouvelle, d’abord parce que la France ne respecterait plus la norme européenne », analyse Arnaud Gossement. Le principe de précaution relève d’un droit de l’environnement qui est d’abord international et européen. L’avocat poursuit : « Face aux nouveaux risques, il est important d’avoir un principe directeur, un guide pour les pouvoirs publics ». (...)

Lobbies du tabac, du pétrole, de la chimie et des pesticides

Cette offensive groupée d’hommes politiques en faveur d’un « principe d’innovation » qui viendrait se substituer au principe de précaution n’est pas anodine. Dans son livre Intoxication [8], la journaliste Stéphane Horel rappelle que le principe d’innovation vient tout droit d’un think tank, l’European Risk Forum (ERF), qui regroupe une vingtaine d’entreprises du tabac, du pétrole, de la chimie et des pesticides (...)

L’offensive menée par les parlementaires en France se superpose parfois avec celle conduite par les multinationales. (...)

Ils plaident pour l’adoption par l’Union européenne d’un « principe d’innovation » prévoyant, « lorsqu’une législation de précaution est envisagée, [que] son impact sur l’innovation [soit] aussi pris en compte ».

Dans la foulée, l’ERF publiait une batterie de documents concernant le « principe d’innovation », visant à « stimuler la croissance économique » [9]. On retrouve l’argumentaire employé dans les diverses propositions de loi déposées par les parlementaires LR (ex-UMP). Attaqué, malmené, le principe de précaution reste pourtant « notre seul joker éthique contre le libre-marché tout puissant », estime la journaliste Stéphane Horel. Un bien commun menacé, qui mérite que l’on continue à le défendre.